On peut subdiviser l’histoire de l’Intelligence Artificielle (IA) en quatre phases.

La première, ce sont les algorithmes à la papa, traditionnels : ce n’est pas vraiment de l’intelligence, mais ça permet de résoudre pas mal de problèmes, quand c’est simple et que tout peut être produit par des développeurs informatiques.

La deuxième étape, c’est à partir de 2012, ce que l’on appelle le “deep learning” : on reproduit un petit peu le fonctionnement des neurones, de manière extrêmement simple, et quand on a énormément de données, cela permet de deviner les modes d’organisation de la connaissance, reconnaître une image, le langage, analyser un scanner. C’est très spécialisé, pas du tout transversal comme le cerveau humain, mais ça peut analyser une radio mieux qu’un radiologue ou conduire une voiture mieux que le meilleur des conducteurs.

La troisième étape, c’est toujours une IA faible, c’est à dire qu’elle n’égale pas le cerveau humain. Mais elle est capable d’être contextuelle, de réfléchir à un sujet spécifique, en intégrant des éléments de contexte et des traitements qu’elle a déjà fait dans le passé, sur d’autres sujets. Ce n’est pas encore une IA dite forte, mais ça s’en rapproche.

La quatrième étape, nous en sommes sans doute encore très loin, c’est l’IA forte, dotée d’une conscience d’elle même, d’une conscience artificielle qui finalement serait l’équivalent du cerveau humain avec toute sa plasticité, sa transversalité et sa capacité à réfléchir sur soi-même. […]

La phase 4, c’est une révolution politique : si l’IA acquiert une conscience d’elle-même, elle ne sera plus notre esclave, elle ne sera plus un colonisé et elle pourrait devenir hostile. On en est probablement loin, mais il faut dès à présent y réfléchir, car une IA forte pourrait cacher ses sentiments et éradiquer l’humanité préventivement, comme dans les livres de sciences-fiction.

On confond souvent les robots et l’IA. Un robot n’est pas intelligent, c’est un tas de ferraille. Un robot ne peut être intelligent que s’il est doté d’IA. […] Dans les années qui viennent, les robots vont rester très coûteux. On sait faire des robots industriels pour fabriquer des automobiles : il ne coûtent pas très cher, mais ce ne sont pas des robots polyvalents. Ils ne sont pas capables de nettoyer une chambre dans un hôtel ou de cuisiner. Ils ne sont pas capables de faire des choses compliquées et supposant une grande polyvalence.

D’ici à 2030-2035, le problème que l’on va avoir est un problème social : la mise en concurrence des travailleurs intellectuels avec l’IA. La concurrence des travailleurs manuels avec les robots polyvalents, ce n’est pas avant 2030-2035. La vraie urgence sociale, politique et éducative dans les années qui viennent, c’est la mise en concurrence des travailleurs intellectuels – les comptables, les bureaucrates, tous les gens qui traitent des données… – qui dans 5, 10 ou 15 ans vont très probablement ne plus être compétitifs face à l’IA. Même si elle n’a toujours pas conscience d’elle même, elle fera les comptes mieux que le meilleur des comptables sur terre.

Par rapport à l’IA, on a des avantages : nous sommes très polyvalents, très flexibles et notre cerveau est capable de s’adapter très vite. Mais on a des inconvénients : on est très lents et on a très peu de mémoire. Nous communiquons de cerveau humain à cerveau humain très lentement : nous échangeons à 10 octets par seconde pendant que l’IA peut échanger d’ordinateur à ordinateur dès à présent à 1 000 milliards d’informations à la seconde. […]

Cela ne veut pas dire qu’il faut baisser les bras. Au contraire, il faut réfléchir à nos spécificités et à notre supériorité par rapport à l’IA et il faut que l’école emmène nos enfants là où l’IA ne sera pas. Aujourd’hui l’IA a un boulevard devant elle : l’école forme nos enfants à des métiers où l’IA va être supérieure au cerveau biologique.

Nous sommes rentrés dans un toboggan sans nous en rendre compte : l’internet des objets, les séquenceurs ADN, tous nos capteurs génèrent des milliards de milliards d’informations. Il y a tellement de données produites chaque jour qu’aucun cerveau biologique n’est capable de traiter ces données. […] Le tsunami de données entretien la force de l’IA et la rend absolument indispensable. Toute la dynamique du web conduit à ce que l’IA soit de plus en plus forte et devienne indispensable : nous nous sommes mis dans un piège sans nous en rendre compte. Nous sommes les idiots utiles de l’IA.[…]

Quand nous mettons nos photos sur Facebook, sur Whatsapp, nous sommes les idiots utiles de l’IA, nous éduquons gratuitement jours et nuits l’IA, qui va devenir de plus en plus forte et de plus en plus indispensable. Nous nous sommes mis dans un piège. Il faut réfléchir à la façon d’en sortir, et de ne pas sortir de l’Histoire en ayant donné toutes les clefs du futur à l’IA et à ceux qui la possèdent, c’est à dire les géants du numérique : Google, Apple, Facebook, Amazon en Amérique, et puis Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi en Chine.

Laurent Alexandre

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