La Cour de justice de l’Union européenne a tranché : Uber devra se soumettre aux règles normales imposées à toute société de taxi. Une revanche du législateur sur l’emprise croissante des plates-formes numériques. Mais attention de ne pas livrer un combat d’arrière-garde sous prétexte de contenir les GAFA.

C’est la fin du Far West pour Uber. Rattrapé par la patrouille, en l’espèce la Cour de justice de l’Union européenne, le Jessie James du taxi va devoir  rentrer dans le rang. Reconnu par les magistrats comme un opérateur de transport et non pas comme une simple plate-forme numérique organisant des rencontres entre des chauffeurs occasionnels et des clients, le trublion américain sera donc soumis au droit commun des sociétés de réservation de voitures, tout comme les sociétés de taxi. Cela signifie que chaque Etat membre de l’Union européenne pourra désormais imposer ce droit à tous les Uber du monde, quel que soit le niveau d’innovation qu’ils proposent.

On peut naturellement se réjouir de ce retour de la règle de droit dans un univers – celui de  l’économie dite collaborative  – façonné par le vent libertaire venu de la côte ouest des Etats-Unis. On peut aussi remercier les magistrats de la Cour européenne de mettre un coup d’arrêt à une certaine forme de naïveté de nos législateurs qui, éberlués par cette déferlante d’innovations dans des secteurs d’activités enkystés, ont tardé à réagir pour remettre de l’ordre.

Ce faisant, ils épousent une tendance générale qui voit les Etats, ceux de l’Europe en particulier, tenter de reprendre la main sur l’emprise de plus en plus massive des plates-formes numériques nées dans la Silicon Valley. Qu’elle soit menée sur le terrain de la concurrence, de la fiscalité ou de l’utilisation des données, la contre-offensive de l’Europe contre les Google, Facebook, Amazon ou Apple sera à n’en pas douter l’un des musts de l’année 2018.

« Colonisation numérique » américaine

Il reste à en cerner les vrais objectifs. Si la pertinence de cette réaction régulatrice est certes parfaitement justifiée sur le plan du droit – il n’est notamment plus tolérable que ces entreprises ne payent pas ou peu leurs impôts dans les pays où elles opèrent -, elle traduit aussi un dérangeant parfum d’impuissance, voire de protectionnisme, face à la « colonisation numérique » américaine. Incapable, faute de savoir s’unir, de créer des  champions numériques européens susceptibles de rivaliser avec les GAFA, l’Europe a clairement décidé d’utiliser le droit pour freiner leur expansion. C’est de bonne guerre, à condition d’être capable de proposer soi-même une offre crédible en matière digitale.

Car ne nous leurrons pas : tous les obstacles juridiques du monde ne suffiront pas à éteindre cette nouvelle soif de consommation qu’a suscitée la révolution numérique venue d’Amérique. Et les citoyens ne pardonneraient pas à leurs dirigeants de les priver d’innovations qu’ils ont déjà largement plébiscitées. Si le rôle du droit est d’éviter le chaos, il est aussi de s’adapter à son temps et de ne pas freiner ce qui reste, malgré toutes les imperfections, un formidable progrès.

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