1- Les Analytics : auparavant domaine réservé des grands éditeurs de systèmes d’information d’entreprise, ils se sont largement démocratisés depuis la naissance du fameux Google Analytics. Désormais, ils permettent aux entreprises de diffuser une culture de la donnée et du « benchmark » de façon simple, au travers du cloud. Toute l’entreprise, quels que soient les types d’expertises de ses collaborateurs, peut donc disposer d’une compréhension fine aussi bien d’enjeux génériques ou « corporates » que de points de données qui ne concerneraient qu’un petit groupe d’individus. Ainsi, dans les organisations digitales, les données, présentées sous forme de tableaux de bord visuels – dashboard – structurent largement la culture d’entreprise et sont souvent les juges de paix, lorsqu’il s’agit d’accroître un investissement ou au contraire de le stopper.
 
2- Les messageries instantanées ont, au sein des entreprises récentes, souvent presque totalement remplacé l’e-mail. Si les générations postérieures à X les critiquent pour être trop intrusives, elles sont plébiscitées par celles qui les suivent. Au-delà d’être instantanées, elles permettent de classer par sujet les échanges d’information et d’avoir un historique clair de ces derniers. Ainsi un nouveau venu sur un projet donné pourrait, sous réserve de bien maîtriser ce type d’outil, en comprendre toute l’étendue et la complexité en quelques heures. Le plus fameux d’entre eux, Slack, est si répandu que certains développeurs stars de la Silicon Valley refusent de travailler avec certaines entreprises si elles n’en sont pas équipées. Ce type d’outil n’est d’ailleurs plus restreint aux fonctions techniques, mais adopté par l’ensemble des entreprises digitales, du directeur général au stagiaire.
 
3- Les outils de partage de projet. Qu’il s’agisse d’entreprises qui conçoivent des réacteurs d’avion avec des outils de modélisation 3D comme General Electric ou qui élaborent le code informatique de sites d’e-commerce comme Amazon, la révolution cloud a permis de généraliser des outils disposant d’un niveau de collaboration et de transparence jamais auparavant atteint.
 
Ces trois outils sont évidemment fortement complémentaires et comportent généralement des fonctionnalités qui permettent de naviguer avec aisance de l’un à l’autre. Ils ont induit une nouvelle culture du management, qui comprend quelques notions fortes :
– Une transparence très avancée, qui permet de regarder très facilement ce qui a été réalisé par les autres collaborateurs. Le corolaire étant évidemment une capacité de contrôle et potentiellement de coercition très importante.
– Une culture presque religieuse du KPI, principalement introduite par les Analytics.
– Des cultures d’entreprise et des règles, généralement implicites, fortes. Il est évident que si, avec le développement des outils de chat (messagerie instantanée), tout le monde se mettait à communiquer à tout va, la concentration des collaborateurs et finalement, la productivité, s’en ressentirait fortement.
L’erreur généralement commise consiste à imaginer qu’il suffit d’intégrer ces outils pour devenir une entreprise digitale. C’est évidemment un raccourci que l’on veillera à ne pas faire car de facto, le niveau de maîtrise technologique qu’il convient d’atteindre avant d’accéder aux données d’une entreprise dite « traditionnelle » et de pouvoir libérer les données essentielles est particulièrement exigeant ; données qui seront utilisées à la fois dans les Analytics et dans les projets. Le décloisonnement des organisations, le passage en gestion de type « lac de données », la mise en œuvre d’API, étant quelques-unes des étapes à franchir.
 
Un préalable, adopter le mode projet
De surcroît, ces outils ne prennent leur plein potentiel que si l’entreprise s’est organisée autour du mode projet, et cela le plus largement possible. On n’imagine que difficilement les obstacles culturels, manageriaux qu’il convient de franchir pour arriver à cette situation. La conséquence la plus importante à l’introduction de ces outils est donc l’évolution vers un mode projet, où les outils se substituent largement à la hiérarchie, au « command and control » qui est le propre des organisations traditionnelles. Il existe toujours un contrôle hiérarchique dans les entreprises digitales, il est beaucoup moins visible et, comme le résume le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, son rôle est davantage « de résoudre les problèmes qui ne peuvent plus être résolus par les équipes projet et […] de maîtriser la stratégie à long terme ».
 
Certes, les résistances culturelles à une telle évolution sont fortes : si les générations Y et postérieures sont plus compatibles avec les principes de transparence et d’accountability – le fait de rendre des comptes -, il n’en reste pas moins à adapter les transitions au cas par cas. Comme l’observe Philippe d’Irbarne dans son livre « La logique de l’honneur », la culture anglo-saxonne protestante, férue de transparence et privilégiant la notion de « fairness » – équité -, est probablement plus adaptée au modèle de l’entreprise digitale que « le code de l’honneur » très implicite qui marquerait les entreprises latines, et particulièrement françaises.
 
Il n’est donc pas incohérent d’envisager qu’il faille un certain délai pour faire muter une entreprise traditionnelle vers un mode digital, en gardant à l’esprit que les transformations technologiques sont infiniment plus aisées que celles qui touchent à la culture ou à l’ADN d’une entreprise.

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