Qu’il est délicieux ce moment de la révélation, celui où vous accédez à une compréhension du monde d’autant plus enthousiasmante qu’elle prend la forme de l’évidence, une vérité que vous connaissiez déjà sans le savoir pour autant. Etudiant, ce fut le cas avec la découverte de Bourdieu, et cette simple idée que le milieu social d’origine était un puissant déterminant. Depuis, j’ai pour livre de chevet (même si je ne l’ai lu qu’une fois) ‘’Les décisions absurdes’’ de Christian Morel, une trilogie qui nous apprend à nous méfier de ce qui semble logique, et nous encourage à faire des choix contre-intuitifs.
Et bien avant-hier, j’ai eu cette sorte d’illumination en regardant le documentaire ‘’L’illusion verte’’, de Werner Boote et Kathrin Hartmann. Le film, sorti en salles il y a quelques mois, et disponible désormais en DVD, prend la forme d’une enquête à travers le monde pour déjouer les abus de ‘’greenwashing’’ par les multinationales, cette technique marketing qui consiste à habiller de vert n’importe quel produit pour le rendre plus consommable.
Après être allés en Indonésie constater les ravages provoqués, sur la forêt tropicale, par l’exploitation de l’huile de palme, les deux réalisateurs se rendent à Austin, au Texas. Ils ont rendez-vous avec Raj Patel, économiste, professeur d’université, spécialiste des questions alimentaires. La discussion porte sur les étiquettes des produits dits durables, la difficulté à les lire, et les arbitrages auxquels sont incités les consommateurs :
Tout revient à la décision individuelle de l’acheteur, mais ça ne devrait pas être le cas. C’est comme le café équitable : moi j’achète du café équitable parce qu’on me donne le choix entre ça et du café d’enflure, du café qui exploite les enfants. On n’en veut pas, on ne veut pas de produit exploiteur. Mais pourquoi est-ce une option ? Pourquoi doit-on choisir, choisir de ne pas exploiter les gens, choisir de ne pas tuer les dauphins ? Pourquoi ces choix existent-ils ? Pourquoi doit-on s’inquiéter de tout ça ? Pourquoi n’est-ce pas un principe de base légiféré pour éviter que ce soit un choix individuel ? La seule solution, c’est d’organiser tout ça. Ce n’est pas en faisant nos courses que nos choix deviendront des lois!
Propos lumineux que ceux de Raj Patel, en ceci qu’ils éclairent une forme d’asservissement volontaire dont je n’avais pas pris conscience jusque-là. En tant que consommateur, heureux possesseur de la carte Waaoh !, je suis l’otage consentant d’une manipulation de la grande distribution et de ses principaux fournisseurs. 
Faisons un tour au supermarché. Comme tous ceux de son espèce, celui de mon quartier a entamé, progressivement, sa mutation en accordant de plus en plus de place aux produits bio, au commerce équitable, aux emballages recyclables. C’est encore timide mais disons qu’il y a le choix. Je peux donc, comme l’explique le professeur d’Austin, choisir ce qui est bien plutôt que ce qui est mal.
Mais je réalise à présent que le mal fait aussi partie du choix. Le mal ! Autrement dit, que des produits issus de l’exploitation des hommes ou de la nature, qui maltraitent les premiers et détruisent la seconde, sont en vente libre. A chaque individu en somme, de se débrouiller avec sa conscience : les grandes enseignes font de la place aux labels verts, elles peuvent donc se laver les mains de ce qu’elles proposent par ailleurs. Une façon de se défausser sur l’individu, de le rendre responsable du bien-être collectif, sans passer par le collectif.
Ce constat renvoie à la réflexion sur l’utilité de l’écologie ‘’des petits pas’’, l’idée que si chacun fait un peu, la somme de ces petits gestes peut beaucoup pour la sauvegarde de l’environnement. En résumé, le choix qui nous est proposé d’acheter des produits équitables ou non équitables revient à nier la nécessité du politique. Or comme le dit Raj Patel, ‘’ce n’est pas en faisant nos courses que nos choix deviendront des lois’’.

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