Autre conséquence directe, votre scepticisme à l’égard de l’intelligence artificielle…
Entendons-nous bien : je suis tout à fait pour les recherches en intelligence artificielle (IA). Si nous avons demain des voitures autonomes qui causent moins d’accidents ou des robots-docteurs qui font des diagnostics plus sûrs que des médecins humains, tant mieux ! Mais je reste, il est vrai, assez sceptique quant à ce qu’on appelle l’« IA forte », la possibilité de construire des ordinateurs ou des robots doués de conscience, ou du moins de certaines des composantes de la conscience.

A commencer par la subjectivité, cette conscience de soi qui fait par exemple que, lorsque je discute avec une personne, comme en ce moment avec vous, ma conscience ne se limite pas aux perceptions visuelles ou auditives de cette personne, il s’y ajoute le fait que je sais que je suis en train de discuter avec elle, que je me vois et m’entends en train de discuter avec elle. Car tout ceci – conscience, subjectivité – suppose un corps vivant régi par l’homéostasie, que par définition les ordinateurs ou les robots n’ont pas. Cela dit, un jeune doctorant de mon laboratoire, le Brain and Creativity Institute, est en train d’essayer de développer un programme d’IA reposant sur une simulation de corps vivant soumis à des processus de type homéostatique – et naturellement je le soutiens…

Mais sans y croire vraiment !
Disons que je pense que l’IA mérite pleinement son qualificatif d’« artificielle ». Simuler des sentiments est possible, mais simuler n’est pas dupliquer. Tant qu’ils seront privés d’affects, les programmes d’IA, même très intelligents (bien plus que nous !), n’auront rien à voir avec les processus mentaux des êtres humains. Et tant qu’ils seront privés de corps vivants régis par les lois de l’homéostasie, ils seront privés de conscience et d’affects…

Quid des transhumanistes et de leur rêve d’accéder à une certaine forme d’immortalité en téléchargeant leur esprit dans des mémoires informatiques ?
C’est tellement naïf ! Que contiendrait ce téléchargement ? Certainement pas leurs expériences mentales. Encore une fois, les cerveaux et les corps sont dans le même bain, ils produisent conjointement ce que nous appelons l’esprit. Pour avoir le moindre espoir de voir se réaliser leur rêve, d’ailleurs bien discutable, les transhumanistes devraient en outre télécharger leur corps… et je me demande bien comment ils s’y prendraient. En soi, ces chimères me feraient plutôt sourire si elles n’exerçaient pas cet attrait sur tant de monde, en particulier les jeunes.

Sourced through Scoop.it from: www.lesechos.fr