Mendier dans des pays en développement en prônant l’accueil et la chaleur des locaux devient un comportement particulièrement nocif pour le secteur touristique
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A Contrario, il est possible d’effacer cette contrepartie économique, en imaginant un échange basé sur les sourires et les cocottes en papier. Ainsi, mendier dans des pays en développement en prônant l’accueil et la chaleur des locaux devient un comportement particulièrement nocif pour le secteur touristique. À terme, le jeu devient négatif et ne profite à personne. Les prestataires ne bénéficient plus des retombées économiques et le voyageur devient un indésirable. 

L’aventure des différents programmes télévisés basée sur ce concept de l’aumône fonctionne car elle est unique et incarnée par des personnalités sympathiques, mais elle n’est pas souhaitable à grande échelle. Dans ce sens, les voyages humanitaires et solidaires ont un prix et demandent un investissement financier important, indispensable pour assurer cet équilibre et permettre au voyageur d’apaiser leur for intérieur. Les acteurs touristiques qui construisent les voyages équitables ne remettent pas en cause cette dimension économique essentielle pour le développement des destinations. Croire que le tourisme de demain sera extrait d’un système économique sous prétexte d’authenticité revient à nier les bases du tourisme basé sur l’équilibre des échanges.

Si l’authenticité n’est pas économique, alors peut-être est-elle historique ? L’authenticité du voyage reposerait dans un retour aux pratiques d’antan, basées sur la représentation sépia d’un imaginaire fantasmé. Pourtant, en France, le tourisme n’existe que depuis l’avènement des départs en vacances le long de la nationale 7, là où le tourisme de masse accompagnait la bétonisation des littoraux pour accueillir les flux massifs de touristes. Cette vision nostalgique ne semble pas en accord avec les ambitions des voyageurs de demain qui souhaitent s’évader seuls sur des espaces vierges, hors des sentiers battus et préservés des aménagements touristiques. 

Alors l’authenticité est peut-être plus ancienne, dans les origines mêmes du Grand Tour, ces aristocrates traversant l’Europe pour se vanter d’être nobles et cultivés. Dans ce cas, le tourisme restera une activité de niche prévue pour les plus aisés, dont les activités seront essentiellement culturelles. Si l’authenticité est historique, alors le tourisme de demain se fondera sur le privilège des voyageurs du XVIIIe siècle ou sur la démocratisation des déplacements de masse. Assurément, il est préférable que cette authenticité ne soit pas historique, car force est de constater que ce passé n’a pas construit de tourisme viable puisqu’il nécessite d’être ré-imaginé.

Le tourisme de demain semble se revendiquer révolutionnaire, sensationnel et unique. Fort heureusement, nous aurons le plaisir de découvrir de nouvelles destinations à travers la fonte des glaces et l’évasion spatiale

Si l’authenticité n’est pas historique, alors peut-être est-elle intergénérationnelle ? Nous abordons ici un sujet très délicat tant il stigmatise les inconforts générationnels liés aux pratiques touristiques. Du point de vue des acteurs, c’est laisser place aux nouvelles générations pour construire le tourisme de demain. Cependant, la gouvernance du tourisme n’appartient pas à ces nouvelles générations mais à des directeurs, des consultants, des politiques et des enseignants – qui ont sans doute bien voyagé – et qui ont des idées bien précises des décisions à prendre pour préserver les environnements. 

Ils peuvent faire reposer cette culpabilité sur les jeunes générations, qui n’ont d’autre pouvoir que de se formater à ces discours. Quand je voyagerais loin, j’irais ramasser des déchets pour un tourisme régénératif et respectueux. Quel plaisir ! Et si le flygskam (la honte de prendre l’avion) est trop important, alors la proximité sera de rigueur : rien de mieux qu’un tour de vélo dans sa communauté de communes, pendant que nos retraités continueront de se dorer la pilule dans des clubs en Tunisie… 

Construire le tourisme sur ces rancœurs générationnelles demande un investissement pour ne pas transmettre le sentiment de culpabilité ; et un travail pour accepter d’évoluer dans la continuité de décisions éclairées par l’expérience des aînés. Le tourisme authentique semble se baser sur des pratiques différenciées qui ne peuvent être effacées.

Si l’authenticité n’est pas intergénérationnelle, alors peut-être nait-elle dans le collaboratif ? Autrement dit, construire ensemble le tourisme de demain. Cette notion perd de son sens dans la mesure où la tendance souhaite effacer les acteurs touristiques traditionnels. Les agences de voyages sont désertées pour favoriser les réseaux sociaux et les sites internet de destination. Les transporteurs et hébergeurs se retrouvent concurrencés par des acteurs numériques qui présentent leurs offres comme renouvelées et alternatives. Enfin, les désirs individuels préfèrent l’exploration et l’aventure en solo plutôt qu’un accompagnement par des professionnels. 

Le tourisme de demain semble se revendiquer révolutionnaire, sensationnel et unique. Fort heureusement, nous ne manquons pas de destinations touristiques et nous aurons le plaisir d’en découvrir de nouvelles à travers la fonte des glaces, les changements climatiques et l’évasion spatiale. Puis, comme le dark tourisme intrigue, la visite des nouveaux espaces de pauvreté restera une expérience unique, pleine de rencontres et de vrais gens. C’est donc la découverte de territoires non-touristiques et non-adaptés qui valoriseraient cette authenticité.

Si l’authenticité ne nait pas dans le collaboratif, alors peut-être est-elle inclusive ? Cette notion d’inclusion se décompose sous deux formes. D’abord du point de vue individuel, avec cette possibilité pour chacun de pouvoir bénéficier des mêmes pratiques touristiques. Puis autour d’un questionnement sur l’acceptation réelle des touristes par les destinations.

Sous sa première forme, il ne faut pas oublier que le tourisme n’est pas une activité innée, qu’il demande un apprentissage certain. Prendre l’avion peut sembler anodin pour des voyageurs initiés depuis leur enfance. Il l’est beaucoup moins pour un adulte qui n’en a jamais eu l’occasion. 

Nous pouvons aussi l’illustrer à travers les fortes tendances du slow tourism basées sur les modes de transports doux comme la marche, le vélo ou le cheval. Dans cette diversification de l’offre, il est nécessaire de se former pour déployer un bivouac, sillonner les destinations en cyclotourisme ou profiter d’une évasion à cheval. Il faut disposer du bon matériel, connaitre les parcours sécurisés ou simplement affronter l’appréhension d’un nouveau type de voyage. Pour beaucoup, ça semble évident, mais découvrir ces nouveaux horizons nécessite d’être accompagné. À défaut, on continue de creuser le fossé entre une population qui a pu découvrir ces nouvelles pratiques touristiques et une autre qui s’installe dans leur méconnaissance pour retrouver les plages bondées d’un sud français estival, largement promu par la téléréalité.

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