Les quarantenaires, dont je fais partie, sont pris entre deux feux, entre la génération de Greta et celle des boomers, mais j’ai tout de même l’impression que les jeunes sont mieux informés sur ce que nous vivons. Alors que les générations précédentes avaient découvert les problèmes globaux de manière graduelle, depuis les années 1970, les jeunes d’aujourd’hui se prennent directement le pack complet, effondrements compris. Ils découvrent d’ailleurs souvent le monde à partir de la question de l’effondrement ! C’est leur ADN. Leur monde est comme ça, il change vite, et ils pensent vite. C’est beaucoup plus compliqué pour les personnages âgés qui sont souvent larguées, même si certains font des efforts pour se connecter aux jeunes.

Alors que l’actualité rappelle sans cesse, et de manière tragique, l’urgence climatique, comment expliquer cette attitude de déni ?

Des études montrent que certains choix moraux se font par le cerveau émotionnel et, ensuite, le cortex préfrontal (la raison) passe son temps à tenter de les justifier. Ceux qui voient les écolos comme des ayatollahs seront donc imperméables aux arguments scientifiques. Puis, il y a aussi ceux qui font des transferts de responsabilité : « Je m’y mettrai quand les autres s’y mettront… ou quand Macron agira vraiment, etc. ». Avec Gauthier, nous voyons les boomers – j’utilise l’expression en ayant conscience de sa dimension caricaturale – comme des adolescents pathologiques : ils ne supportent pas l’idée de la mort ou de la souffrance, ils veulent toujours plus, et tout tout de suite… C’est typique de la modernité : une société déconnectée du corps et du cœur, qui a peur de la peur et qui veut tout contrôler.

« On arrive dans l’ère du grand sevrage, et ce sera difficile »
Pablo Servigne, co-auteur du livre L’Effondrement (et après) expliqué à nos enfants et à nos parents

De plus, il faut souligner ce qui relève de l’addiction (au pétrole, au pouvoir, au sexe, au sucre, etc.) à tout ce qui permet de rester anesthésié et de ne pas ressentir (car ça fait trop peur). Et quels sont les deux problèmes d’un addict ? Avoir trop de drogues ou n’en avoir pas assez ! Pour le pétrole, c’est la même chose : nous sommes pris en tenaille. On arrive donc dans l’ère du grand sevrage, et ce sera difficile.

L’adage dit : « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait ». Est-ce que la situation ne se serait pas inversée ? C’est à-dire que les jeunes ont une conscience aigüe du problème climatique et des inégalités mais ne disposent pas, contrairement aux vieux, des moyens matériels et économiques pour changer les choses ?

C’est juste, et on pourrait pousser le raisonnement en disant que nous sommes dans une gérontocratie. Les vieux vivent de plus en plus vieux et ont de plus en plus de pouvoir. En revanche, les jeunes ne sont pas écoutés et ne sont pas aux manettes. C’est pour cela qu’il est très difficile de prendre des mesures radicales. Si les vieux me font penser à des enfants gâtés, les jeunes rappellent au contraire les résistants français de la Seconde Guerre mondiale. Edgar Morin me racontait que la Résistance était presque entièrement composée de très jeunes hommes (de 15 à 35 ans) et que les chefs étaient à peine trentenaires. Se faire fusiller à 17 ans !

Aujourd’hui les jeunes sont aussi confrontés à une urgence, à un danger de vie ou de mort, et il faut agir ici et maintenant. La génération Greta, qui ne se limite pas aux jeunes urbains des pays riches, est habitée par ce sentiment. Une étude montre d’ailleurs que les jeunes des pays du Sud souffrent plus d’éco-anxiété que les jeunes des pays du Nord. Et ce qui les angoisse le plus, ce ne sont pas tant les catastrophes que l’inaction de leurs dirigeants.

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