À Château-Thierry, dans l’Aisne, la société Jungle fait pousser basilic, moutarde et autres plantes aromatiques dans des chambres de plusieurs mètres de hauteur, grâce à un ingénieux système d’agriculture verticale. Un modèle efficace et économe en eau, mais aussi très énergivore.
Un tapis roulant installé à hauteur de bassin, de vastes tambours de convoyeur et quelques silhouettes en blouse blanche, charlottes visées sur la tête. Le tout sous un plafond de 12 mètres de hauteur, situé entre une entreprise de logistique et une société de location de chapiteaux, dans un vaste hangar de la zone industrielle de Château-Thierry (Aisne), charmante commune de 15 000 habitants traversée par la Marne, ancienne cité médiévale où naquit naguère un certain Jean de la Fontaine.
À première vue, on ne saurait dire qui, du Lièvre ou de la Tortue, symbolise le mieux la trajectoire de Jungle. Ni tout à fait usine ni tout à fait laboratoire, cette start-up pas comme les autres a d’abord été pensée comme une ferme. Plus exactement une ferme verticale, dont elle revendique aujourd’hui le titre de « plus grande de France, et l’une des plus grandes d’Europe ». Depuis sa création au Portugal en 2016, la société a fait croître à grande vitesse son premier site hexagonal, passé d’une demi-douzaine de salariés en 2019 à près d’une quarantaine, trois ans plus tard. La recette de ce succès réside dans un concept simple mais très en vogue, décliné aux quatre coins du monde depuis sa théorisation en 1999 par le microbiologiste Dickson Despommier : celui d’agriculture verticale. Soit le fait de cultiver des produits alimentaires en grande quantité grâce à des structures placées les unes au-dessus des autres, et non directement depuis la terre. À partir d’un savant mélange de substrats, de vermiculites et, en l’occurrence, de lumière artificielle.
Wasabi, basilic, moutarde… Dans cette jungle qui n’a de « sauvage » que le slogan, les plantes récoltées sont essentiellement aromatiques et cosmétiques. « Tout ça est envoyé à Monoprix, Intermarché, Grand Frais et depuis peu Carrefour », débite à toute vitesse le co-fondateur Gilles Dreyfus, 39 ans, teint bronzé, grands yeux clairs, barbe mi-longue et sarouel jusqu’au bout des pattes. Tout en nous guidant à travers les allées de sa propriété, cet ex-financier, qui dit avoir été frappé par la grâce en 2015 à la lecture d’un article du Financial Times sur le sujet, poursuit doctement ses explications : une fois disposées dans de petits pots, les micro-pousses passent 3 à 6 jours dans le noir intégral d’une pièce humide, où n’entre que le personnel autorisé. Puis direction leurs « chambres », où elles sont exposées à des rayons UV et arrosées par le dessous, depuis un logiciel dédié. En tout, douze espèces cohabitent dans six chambres différentes, pour un total de 310 mètres carrés de culture.
Les conditions – température, humidité, circulation de l’air – sont alors ajustées à la virgule près, notamment grâce à des sondes de conductivité électrique chargées de mesurer les nutriments absorbés. Et si Jungle ne peut prétendre à l’étiquette bio (le label européen étant réservé à la production en sol), aucun produit phytosanitaire – ni pesticide, ni herbicide, ni fongicide – n’est utilisé.
Singularité du projet porté par Gilles Dreyfus et son compère Nicolas Séguy, désormais directeur du site, le duo ne vise pas tant l’agriculture urbaine – souvent désignée comme la principale bénéficiaire de ce mouvement hétéroclite – que l’agriculture conventionnelle. « Je respecte le modèle de l’agriculture urbaine mais soyons réalistes, il ne va pas permettre de nourrir tout le monde. Notre ambition est autre, elle est industrielle, assume Gilles Dreyfus en humant quelques tiges de ciboulette. Je sais que ce mot a une connotation péjorative, mais moi, je crois en une agriculture industrielle à la fois durable et rentable. »
Pour ce faire, le chef d’entreprise a une idée en tête : que les plus grandes coopératives agricoles françaises et internationales fassent elles-mêmes installer des petites fermes verticales sur leurs exploitations. Naturellement, la réplique se fera à partir du prototype Jungle, qui proposerait aux agriculteurs intéressés des modules de formation de 3 à 6 mois, puis un suivi régulier sur place. « De toute façon, ils auront de plus en plus de problèmes de récolte à cause du réchauffement climatique, donc ils seront obligés de bouger », anticipe Gilles Dreyfus. Parmi les 20 plus grandes coopératives agricoles françaises, la moitié serait « intéressée » et « les premiers contrats arrivent bientôt », promet l’entrepreneur. Qui précise aussitôt que son intention n’est pas de « remplacer » l’agriculture traditionnelle, mais de « faire avancer la complémentarité des modèles ».
Lire l’article complet sur : usbeketrica.com
Leave A Comment