Preuve que ce basculement est loin d’avoir convaincu tout le monde, Kylie Jenner et sa sœur Kim Kardashian, superstars mondiales comptant respectivement 360 millions et 326 millions d’abonnés, n’ont pas hésité à y aller de leur petit commentaire acerbe l’été dernier, plaidant pour « qu’Instagram redevienne Instagram ». « Arrêtez d’imiter TikTok. Je veux juste voir les jolies photos de mes amis », clamait en chœur le duo de millionnaires le 25 juillet. Une pétition lancée dans la foulée pour retrouver « l’Instagram d’avant » a même récolté près de 150 000 signatures. Au point de pousser le nouveau patron du service, Adam Mosseri, à sortir de son habituel silence. « [Cette transition vers la vidéo], nous la constatons même si nous ne faisons rien. Nous voyons cela rien qu’en regardant le fil chronologique ! », se dédouanait Mosseri dès le lendemain, le 26 juillet. Comprendre : Instagram ne compte pas faire machine arrière.

Au contraire, en donnant de plus en plus de place aux Reels, l’objectif est de pousser les créateurs à en produire, avec à la clé des partenariats potentiellement très lucratifs. « Instagram est face à un vrai dilemme : écouter une partie de ses utilisateurs et reculer, ou attendre que ça passe et faire face à la concurrence coûte que coûte. Pour l’instant, vu le peu de changements que les dirigeants apportent à leur algorithme, on dirait bien qu’ils choisissent la seconde option  », constate Solweig Mary. Et pour cause : « Quand le contexte économique était meilleur [Meta a annoncé le licenciement de 13 % de ses effectifs, soit 11 000 personnes, en novembre, ndlr], Meta et Instagram pouvaient faire à peu près ce qu’ils voulaient de leur algorithme, ils pouvaient expérimenter, explique Lance Ulanoff, rédacteur en chef de l’édition américaine de la revue TechRadar. Maintenant, on dirait qu’Instagram ne sait plus quoi faire. » 

Ou plutôt, qu’il ne sait plus faire qu’une seule chose : suivre le marché. Résumé sous la plume mordante du New Yorker, cela donne : « Que vous le vouliez ou non, vous allez utiliser les Reels. Pourquoi ? Parce que fuck you. » « Notre principal moteur de profit est la publicité, écrit la chroniqueuse Meghana Indurti dans un article dans lequel elle s’imagine dans la peau d’Instagram, datant du 11 novembre dernier. Et puisque nous n’avons plus de moyens de vous faire de la publicité, nous avons décidé que vous deviez tous devenir vous-mêmes des publicités. Alors allez-y, utilisez les Reels. Racontez votre vie. Devenez la star de tous vos mardis dénués de sens. Faites de chaque semaine de vacances une découverte intérieure esthétiquement impeccable (…) De toute façon, vous n’aurez pas le choix. » 

« Instagram est en train de perdre du terrain, il n’est plus aussi majoritaire qu’il l’était avant l’arrivée de TikTok »
Cyril Attias, spécialiste des réseaux sociaux

Problème, et pas des moindres : au-delà des Reels, Instagram souffre toujours de la comparaison avec son principal rival à bien des égards. Une enquête réalisée en 2021 par la banque d’investissements Piper Sandler montre que seulement 22 % des adolescents américains considèrent Instagram comme leur plateforme préférée, derrière Snapchat et, bien sûr, TikTok. Comme le souligne le média en ligne Mashable, en 2015, la même enquête montrait pourtant qu’Instagram était l’application préférée des adolescents, à hauteur de 33 %. « Non seulement l’application elle-même a changé, mais la façon dont les jeunes publient sur Instagram a aussi changé, constate Mashable. On y trouvait autrefois des grilles parfaites, pleines de photos avec des filtres VSCO subtils. Cela faisait d’Instagram une étape marquante, évidente, dans votre vie. [Aujourd’hui] les nouvelles normes de publication sur Instagram ne sont plus aussi claires. »

Résultat ? « Oui, Instagram est en train de perdre du terrain, il n’est plus aussi majoritaire qu’il l’était avant l’arrivée de TikTok, atteste auprès d’Usbek & Rica Cyril Attias, fondateur de l’agencedesmediassociaux.com et animateur du podcast Marketing & Influence. L’algorithme de TikTok réussit à capter l’attention de manière assez incroyable, c’est comme s’il aspirait instantanément ses utilisateurs pour qu’ils y passent trois heures sans même s’en apercevoir, notamment les plus jeunes. On ne reproduit pas ce modèle du jour au lendemain. »

« 56 % des experts social media ressentent une baisse de visibilité pour leurs posts organiques sur Instagram »

« À l’origine, Instagram était une application de photos. Maintenant, c’est tout ce dont Meta a besoin pour [renflouer] ses caisses, regrette de son côté Lance Ulanoff. Cela en fait une source d’intérêt et de divertissement moins pertinente pour les consommateurs et, évidemment, une source de visibilité moins fiable pour ceux qui créent du contenu spécifiquement pour Instagram.  » Même constat du côté du Blog du modérateur, le média des professionnels du numérique, dont la dernière enquête annuelle atteste que « 56 % des experts social media ressentent une baisse de visibilité » pour leurs posts organiques (publication traditionnelle et gratuite de contenu) sur Instagram, soit une hausse non négligeable de + 12 points par rapport à l’an dernier.

En 2019, déjà, une étude réalisée par InfluencerDB estimait que le taux d’engagement de ces même publications organiques des influenceurs était passé de 4 % en 2016 à seulement 2,4 % (et même 1,9 % pour les publications sponsorisées). Paradoxe supplémentaire, « Instagram aura peut-être contribué, via son focus sur les Reels, à la démocratisation des formats populaires sur TikTok et de ces nouveaux usages auprès des marques… qui auront ainsi pu, plus facilement, se lancer sur TikTok », constate encore l’étude du Blog du modérateur

Vers la mort d’Instagram ?
De là à sonner définitivement le glas d’Instagram ? Selon la plupart des spécialistes que nous avons interrogés, tous ces bouleversements indiquent au contraire l’amorce d’une (lente) période de transition. « Pour suivre une personnalité, son actualité, ses produits, Instagram reste numéro un », analyse Cyril Attias. Qui poursuit : « 80 % des marques continuent de vouloir investir sur Insta : les statistiques sont plus fiables, des accords avec Meta existent déjà, l’image du groupe est plus propre, la cible moins jeune donc davantage monétisable… On l’oublie souvent, mais il faut aussi rappeler que TikTok est une plateforme d’État pilotée par le gouvernement chinois, ce qui n’inspire pas forcément confiance en comparaison. » Et de rappeler que la plupart des utilisateurs de TikTok continuent aujourd’hui de se rendre de manière quotidienne sur Instagram, ce qui n’est pas forcément vrai dans l’autre sens.

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