La lumière a été braquée sur GDF11 en 2014, quand un premier travail de recherche, déjà mené par Lida Katsimpardi, a eu les honneurs de la revue « Science » : en reliant le système sanguin d’une jeune souris à celui d’une souris âgée – selon une technique appelée parabiose et évidemment impraticable sur des humains -, les laborantins ont alors découvert que cet afflux de sang neuf avait pour effet de rajeunir le cerveau de cette dernière : de nouveaux neurones y naissaient à partir de cellules souches neurales (un processus naturel dénommé neurogénèse), en particulier dans cette structure jouant un rôle clef dans la mémoire qu’est l’hippocampe, et l’ensemble du cerveau de la souris âgée retrouvait la bonne vascularisation dont il jouissait en début de vie.

Très vite, le responsable de ce bain de jouvence subcrânien fut identifié comme étant GDF11. « C’était le mythe de Faust revisité ! » se souvient Pierre-Marie Lledo, qui s’est empressé de faire revenir son ancienne étudiante, alors à Harvard, de ce côté-ci de l’Atlantique, pour y poursuivre ses recherches sur ce facteur sanguin à l’influence si décisive sur le cerveau.

Les chercheurs de l’Institut Pasteur ont montré que nettoyer le cerveau de ses cellules sénescentes combat également la dépression liée à l’âge.

La nouvelle étude va plus loin, puisqu’elle précise le mécanisme moléculaire par lequel GDF11 régénère les cerveaux vieillissants et démontre que l’effet bénéfique de cette protéine s’étend aussi à certains des troubles ou des maladies qui les affectent, eux et les esprits qu’ils abritent.

« C’est essentiellement en activant l’autophagie que GDF11 agit comme un facteur de jouvence », explique Pierre-Marie Lledo. Le terme d’autophagie désigne le processus naturel par lequel les cellules (qu’il s’agisse des cellules nerveuses ou autre) se nettoient de tous les déchets, toutes les scories qui s’accumulent au fil du temps. Tel un très efficace service de nettoyage-gardiennage, elle s’assure que les organites indésirables ou endommagés, les protéines mal repliées, les pathogènes, etc., soient redirigés vers les lysosomes pour y être proprement digérés.

A cet effet direct, GDF11 en ajoute un indirect, non moins puissant, puisqu’elle agit aussi comme un sénolytique, c’est-à-dire un agent capable de cibler et de détruire spécifiquement les cellules sénescentes, ces « cellules zombies » qui refusent de mourir et s’accumulent avec l’âge, au prix d’une inflammation des tissus environnants. Les cellules sénescentes sont sans doute pour beaucoup dans tous les désordres qui surviennent dans un cerveau âgé. Dans l’hippocampe d’une vieille souris de deux ans, leur densité est deux fois plus élevée que dans celui d’un souriceau.

Améliorer l’humeur
Mais les troubles de mémoire ne sont pas les seuls qui apparaissent quand le poids des ans commence à se faire un peu trop lourd. Il s’y ajoute aussi, bien souvent, des troubles de l’humeur : les dépressions liées à l’âge représentent une part non négligeable, et probablement sous-estimée, des dépressions. C’est à ce versant encore relativement méconnu (et beaucoup moins mis en avant que les maladies neurodégénératives) du vieillissement cérébral que les chercheurs de l’Institut Pasteur se sont intéressés dans « Nature Aging ».

Dépression : c’est (beaucoup) dans le ventre que ça se passe
Ils ont pu montrer que l’administration de GDF11 avait pour effet non seulement de rendre une partie de leurs capacités cognitives à des souris séniles, mais aussi d’améliorer l’humeur de rongeurs rendus dépressifs par l’adjonction de cortisol (l’hormone du stress) à leur boisson – un protocole couramment suivi dans les laboratoires de biologie. En d’autres termes, nettoyer le cerveau de ses cellules sénescentes grâce à un sénolytique naturel comme GDF11, outre que cela améliore les performances cognitives, combat également la dépression, du moins si celle-ci est liée à l’âge.

Un nouveau type d’antidépresseur ?
Ces résultats spectaculaires sont-ils transposables à l’homme ? C’est encore trop tôt pour le dire avec certitude, ces travaux n’en étant pas encore au stade des essais cliniques. Mais les auteurs de l’étude de « Nature Aging » ne se sont pas contentés des résultats obtenus sur leurs petits murins. Ils ont en effet bénéficié des données d’une cohorte mêlant sujets sains et sujets dépressifs, ce qui leur a permis de découvrir que les patients ayant obtenu les scores les plus élevés au questionnaire MADRS (indiquant un état dépressif prononcé) étaient aussi ceux qui avaient le taux de GDF11 dans le sang le plus bas…

Certes, corrélation n’est pas causalité, s’empresse de souligner le directeur du laboratoire Perception et Mémoire. Mais tout de même… la coïncidence semble un peu trop troublante pour ne pas mériter l’attention de telle ou telle « Big Pharma », seule susceptible de financer un essai sur l’homme à vaste échelle.

Pourrait-on envisager, à terme, la mise au point d’un tout nouveau type d’antidépresseur, qui n’agirait pas en augmentant le taux de sérotonine et/ou de noradrénaline en circulation dans le cerveau, comme le font toutes les molécules actuellement sur le marché, mais en favorisant l’autophagie des cellules nerveuses et en éliminant celles entrées en sénescence ? A entendre Pierre-Marie Lledo, l’espoir paraît permis.

Cette avancée serait bienvenue, alors que les antidépresseurs conventionnels laissent sur le bas-côté pas moins d’un tiers de patients, malheureusement pour eux « non-répondants ». Et que, depuis la mise au point par Eli Lilly de la fluoxétine (commercialisée sous le nom de Prozac) en 1974, il ne s’est pas passé grand-chose sur ce front de la recherche biomédicale…

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