Les réseaux sociaux ont vu cet été se multiplier les posts de cadres en déplacement ou de touristes, revendiquant leur fierté de prendre le train pour leurs voyages, pendant désormais positif du « plane shame ». Et en même temps, la presse n’a cessé de se faire l’écho des affluences records dans les aéroports européens, entraînant files d’attente et retards de plusieurs heures. Deux faces d’une même pièce, et l’illustration parfaite des injonctions et contradictions qui nous tra- versent désormais tous dans nos choix de mobilités.
Subvention de l’essence, interdiction des jets privés, stationnement payant pour les deux- roues, chaos dans les aéroports, record de passagers pour le train : rarement la mobilité des Français n’aura autant déclenché les passions, animant le débat public sous toutes ses formes. Auparavant affaire de convenance et de choix personnel, la mobilité devient un objet de plus en plus politique, « chargé », à mesure que les conséquences du dérèglement climatique se manifestent dans notre quotidien. Entre volonté, incitation et contrainte, les comportements marquent bien une évolution, non sans quelques frictions ! L’heure n’est pas à la démobilité, elle est sans doute plus au raccourcissement des distances. Le tour du monde en avion fait désormais moins rêver, quand la marche, le vélo, le canoë ou le paddle renforcent leur attractivité comme pratiques et loisirs.
Après la crise, le grand retour du mouvement !
Le premier enseignement de 2022 est certainement la fin des illusions post-Covid. Le télétravail n’a pas (totalement) remplacé le bureau, le grand exode urbain n’a pas eu lieu, le cocon familial ne s’est pas imposé comme unique horizon de la vie… Entre effet de rattrapage et « revenge travel » il s’avère que les Français ont encore la bougeotte, et même plus qu’avant ! En termes de mobilité, 2022 est même une année record. Durant l’été 2022, 35 millions de Français sont partis en vacances, soit deux millions de plus qu’en 2019, avant la pandémie. Aux côtés des traditionnels embouteillages, la SNCF affirme avoir vendu 23 millions de billets en deux mois, 10 % de plus qu’en 2019 et record absolu pour la compagnie ferroviaire publique. Dans le même temps l’aérien retrouve 70 % de son niveau prépandémie à l’échelle mondiale… mais un trafic supérieur à celui de 2019 en ce qui concerne les vols internationaux.
Le « slow tourisme » réconcilie mobilité, loisir et territoire
Bouger toujours, mais sans doute autrement ! Cette envie renouvelée de dépaysement ne se traduit pas systématiquement par un retour à la situation antérieure. Rassemblées sous le néologisme de « slow tourisme » de nouvelles pratiques se singularisent par le renoncement à l’avion et à la voiture.
L’impératif écologique se conjugue ici avec la recherche d’une nouvelle expérience du voyage. Cela se traduit par l’essor de trois pratiques touristiques distinctes. Le retour en grâce du train d’abord, déjà évoqué, qui outre ses chiffres records peut compter sur une popularité renouvelée pour recréer des offres que l’on croyait obsolètes comme les trains de nuit, les petites lignes, les lignes touristiques ou mythiques à l’image de l’Orient Express relancé par Accor.
Le cyclotourisme, ensuite, voit sa pratique augmenter continuellement depuis une dizaine d’années et exploser depuis 2019 : avec 9 millions de séjours cyclistes par an, la France est désormais la seconde destination mondiale. Avec des dépenses journalières supérieures aux touristes « classiques » cette nouvelle pratique bénéficie surtout aux territoires qui ont développé des « véloroutes » bucoliques et à l’écart du trafic automobile à l’image de La Loire à Vélo qui a enregistré près de 20 % de passages en plus par rapport à 2021. On retrouve le temps, on se réapproprie le rapport à la nature, en se déplaçant autrement.
La randonnée pédestre, enfin, opère un retour en force. Traditionnel « loisir préféré des Français », la marche voit sa pratique et son image changer avec l’arrivée d’une nouvelle catégorie de randonneurs, plus jeune et plus urbaine assurant la popularité de la marche, de Saint-Jacques de Compostelle, du trail, de l’urbex, ces formes d’exploration à pied de lieux abandonnés, ou de la « micro-aventure », tous dépaysants et instagrammables. L’engouement est tel que certains des itinéraires les plus courus, à l’image du GR20 en Corse, réfléchissent désormais à la mise en place de quotas pour lutter contre la surfréquentation.
La voiture, critiquée mais toujours leader de la mobilité quotidienne
Cependant, cette tendance de fond ne doit pas occulter une réalité qui persiste et que le mouvement des Gilets Jaunes avait fait éclater : le règne de l’automobile dans la vie quotidienne des Français.
Cette vie quotidienne se caractérise d’abord par une mobilité globale en augmentation permanente. Souvent sous-estimés, les trajets du quotidien – tous modes confondus – représentent 10 heures et 400 km par semaine ! Et ces chiffres continuent d’augmenter. Cependant, ces chiffres moyens masquent de fortes disparités, en fonction de trois critères. Le travail d’abord, les personnes en emploi se déplacent plus et certains métiers impliquent une très forte mobilité. Les revenus ensuite, les ménages les plus riches se déplacent davantage, et plus vite. La géographie enfin, les ruraux et les habitants de grandes zones urbaines se déplacent beaucoup contrairement aux habitants des petites villes.
Pour faire face à cette demande croissante de mobilité, la voiture reste plébiscitée. Elle est le premier mode de transport et assure 63 % de la totalité des trajets. 80 % des ménages en ont une, 35 % deux ou plus. Il y en a plus de 38 millions en circulation en France. Son hégémonie n’est pas encore contestée mais la tendance est légèrement à la baisse. Sa part dans les déplacements a diminué de quelques points en dix ans. La hausse de la mobilité quotidienne est donc absorbée par d’autres modes, avec en premier lieu la grande oubliée qu’est la marche ! Elle représente presque un quart (24 %) des déplacements des Français. Le reste de la hausse est absorbé par les transports publics (9% des déplacements) majoritairement utilisés dans les zones urbaines denses. Et même s’il demeure encore peu visible dans les statistiques globales nationales, l’essor du vélo dans les métropoles, pendant et à la suite de la pandémie, quand les transports devenaient des lieux anxiogènes de contamination possible, constitue à l’évidence un des grands changements en cours.
S’il est un symbole du bouleversement de nos mobilités c’est bien lui : le vélo ! Passion française lorsqu’il s’agit de sport, sa part dans les déplacements quotidiens plafonnait pourtant à 2,7 %. Mis à part quelques municipalités volontaristes, à l’image de Strasbourg, il restait, avec la marche, le parent pauvre des politiques publiques de mobilité centrées sur la voiture et les transports publics. Un alignement des planètes a contribué à en faire le symbole de la mobilité du futur. La crise sanitaire a ici fait office de point définitif de bascule. La multiplication spectaculaire des « coronapistes » a amorcé un mouvement de fond de retour en grâce de la bicyclette qui s’appuie sur plusieurs facteurs cumulatifs : les confinements et la réalisation du gain de qualité de vie entraîné par la réduction de la circulation motorisée, l’impératif climatique, toujours plus pressant, la démocratisation du vélo électrique qui a diversifié la population d’usagers, ainsi que la contrainte administrative et financière qui accélère ce mouvement. Cet engouement se traduit de façon très marquée dans les chiffres : 2,8 millions de vélos ont été vendus en France en 2021 pour un chiffre d’affaires en hausse de 43 % sur deux ans. Le marché est tiré par la popularité grandissante du vélo électrique qui représente 24 % des ventes mais la moitié de la valeur ! Ce niveau d’équipement se traduit dans la pratique par une hausse de 39 % par rapport à 2019. Fait marquant : cela concerne les zones urbaines (+ 42%) mais aussi le périurbain (+ 22 %) et le milieu rural (+ 23 %). Encore faible en volume, la mobilité quotidienne à vélo est certainement celle qui bénéficie de la dynamique la plus impressionnante !
La mobilité, une liberté de plus en plus surveillée
En tant que premier poste d’émission de gaz à effet de serre en France, la mobilité est devenue un objet politique, donc un objet de controverse. Espace public et espace médiatique voient s’affronter les modes de transport avec une radicalité nouvelle. Les utilisateurs de jets privés sont traqués, les « vélotaffeurs » filment les chauffards et dégonflent les pneus des SUV, les motards manifestent contre le contrôle technique ou le stationnement payant, les trottinettes sont douces mais dangereuses et le moindre aménagement piéton déclenche l’ire des commerçants et des automobilistes. Les conflictualités d’usage s’idéologisent et deviennent porteuses de visions du monde.
Des budgets sous tension
Ce raidissement est autant passionnel que contraint. Les choix de mobilité des Français sont le fruit d’arbitrages de plus en plus complexes, individuels et collectifs ! Vertu écologique, pouvoir d’achat, incitation des politiques publiques se mêlent pour reconfigurer les mobilités. Le budget mobilité des ménages a augmenté fortement passant de 129 € à 174 € par mois entre 2020 et 2022 avec de fortes inégalités ! Malgré les 7,5 milliards d’euros de subvention aux énergies fossiles engagées par le gouvernement sous la forme d’une remise carburant, les utilisateurs de voitures et dedeux-roues motorisés sont les plus touchés avec un budget mensuel de 216 €, contre 105 € pour les autres. Au-delà de la hausse conjoncturelle du carburant, l’automobile doit également faire face à un renchérissement structurel : le prix moyen d’un véhicule neuf a augmenté de 6 % en un an, 15 % sur trois ans. L’heure est aux économies. Et pouvoir d’achat et écologie se conjuguent pour y avoir moins recours. Si la voiture reste un objet de désir, elle est de moins en moins statutaire, ramenée à sa fonction utilitaire par son coût.
La mobilité se joue également de plus en plus dans les territoires et les politiques locales, autour de batailles pour l’espace public. Au sortir de la crise sanitaire, les collectivités territoriales sont nombreuses à avoir décidé d’agir activement sur l’organisation des mobilités. Il n’est pas ici question de transports publics lourds, plus longs à mettre en place, mais d’une série de mesures de régulation de la circulation qui peuvent paraître anodines mais qui, en se multipliant, rééquilibrent considérablement l’espace public en faveur des piétons et des mobilités douces.
C’est bien ainsi au cœur des territoires que se nouent beaucoup de nos manières de changer nos mobilités pour répondre à un impératif climatique qui nous oblige tous. Comme sur la promotion des circuits courts en matière alimentaire par exemple, une nouvelle fois, le local change, innove, invente pour… réparer le global !
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