Après plus de deux années d’euphorie, le monde des start-up arrive à la fin d’un cycle : celui de l’argent « pas cher », voire « gratuit ». Fini les levées de fonds de plusieurs centaines de millions d’euros et les valorisations record.

Au premier trimestre 2023, le montant total levé par les start-up au niveau mondial a baissé de 53 % par rapport à la même période l’année précédente, pour atteindre 76 milliards de dollars, d’après le site spécialisé Crunchbase. Le nombre de nouvelles licornes est aussi en chute : elles étaient 10 à avoir rejoint ce club en mai dernier, contre 34 en mai 2022.
C’est aussi la fin d’un autre cycle : celui des logiciels sous abonnement pour entreprises (les « SaaS » dans le jargon) et des places de marché. Pendant plus de dix ans, ces modèles ont explosé et ont fait partie des thèses d’investissement de la majorité des fonds de capital-risque de la planète.

Des solutions trop de niche
D’un côté, cet afflux d’argent a fait naître des succès mondiaux comme la messagerie collaborative Slack, le spécialiste de la signature électronique Docusign ou encore Figma, outil à destination des designers, racheté récemment par Adobe pour 20 milliards de dollars.
De l’autre, il a participé à la multiplication de solutions de niche. Très niche. Avec la crise, les entreprises doivent couper leurs budgets et arrêter d’utiliser des outils non essentiels, qui ne leur font pas vraiment gagner d’argent ou du temps. « En 2021, on voyait des entrepreneurs se lancer sans juger la taille du marché adressable et avec des boîtes sans grande utilité », se souvient Marc Menasé, fondateur du fonds de capital-risque Founders Future.
Les logiciels sous abonnement ne vont pas disparaître non plus. La preuve avec la nouvelle vague de logiciels basés sur l’intelligence artificielle mais aussi des segments encore sous-exploités. « Il reste encore tout à faire dans le domaine des places de marché BtoB [business to business, NDLR]. Le monde des PME est progressivement en train de se déporter en ligne. Par exemple, l’activité de ManoMano dans le BtoB est colossale », souligne Marc Menasé.
Le célèbre site de décoration a créé en 2019 une plateforme dédiée aux professionnels en France (achat de matériel et rénovation) qu’elle a ensuite déployée dans plusieurs pays européens. Selon la licorne française, trois ans après son lancement dans l’Hexagone, un professionnel de la construction sur quatre s’est inscrit sur le site.

Place aux start-up industrielles
Mais d’autres types de start-up sont en train d’émerger, notamment dans l’industrie. En début d’année, Emmanuel Macron a fixé l’objectif de 100 sites industriels issus de la French Tech et six mois plus tard, à l’occasion de VivaTech, il a révélé le French Tech 2030, un programme d’accompagnement financier et extra-financier d’acteurs en ligne avec les objectifs de France 2030.
« Tout ça va ruisseler vers une politique d’investissement industriel 3.0. C’est grâce à cela qu’on aura un leadership mondial », note Marc Menasé.
Les deeptechs, ces start-up qui développent des technologies disruptives (quantique, cybersécurité, spatial…), séduisent de plus en plus les investisseurs, majoritairement des spécialistes. Les fonds de capital-risque préfèrent encore les modèles sous abonnement, qui donnent lieu à des revenus récurrents et une perspective de rentabilité rapide.
Les deeptechs, elles, nécessitent beaucoup de capitaux pour investir en R&D et le retour sur investissement est assez long. « Si une deeptech présente des perspectives financières considérables, elle sera financée par des VC [fonds de capital-risque, NDLR] audacieux, qui sont une autre espèce que les fonds suiveurs qui prennent un peu moins de risques », estime Etienne Krieger, entrepreneur et professeur affilié au Centre entrepreneuriat et innovation d’HEC Paris.

L’espoir des greentechs
Pour changer la donne, ces start-up peuvent compter sur Bpifrance, qui a lancé un plan deeptech en 2019 et a investi 1,1 milliard d’euros dans ces jeunes pousses en trois ans. Sans compter une poche de 1,2 milliard d’euros qui a atterri dans les fonds de capital-risque. « La filière deeptech française continue de prospérer dans cette période assez sportive », assure Etienne Krieger.
Depuis le début de l’année, les levées de fonds à deux chiffres ou plus se sont multipliées, comme celle du spécialiste du quantique Pasqal (100 millions d’euros) ou encore d’Exotrail (53 millions), jeune société qui conçoit des systèmes de propulsion électrique miniaturisés pour les petits satellites.
« Il ne faut pas sous-estimer le talent nécessaire pour que des équipes de développeurs, de designers et de marketeurs fassent de leurs solutions un succès », indique Etienne Krieger. Sans oublier les chercheurs. En début d’année, le gouvernement a annoncé mobiliser 500 millions d’euros pour pousser les chercheurs à lancer des deeptechs.
Autre tendance de fond : la greentech, l’écosystème de start-up qui oeuvre pour la transition énergétique. « C’est exceptionnel ce qui se passe en Europe. Les sujets autour du climat et de la rénovation énergétique seront les plus belles opportunités des dix prochaines années. Je crois beaucoup qu’on peut créer des vrais champions sur ces thématiques », prédit Marc Menasé, qui a commencé à investir sur l’optimisation de l’énergie ou encore l’équipement prise de recharge électrique. En 2022, c’est l’un des rares segments de la tech qui a continué à croître en termes de levées de fonds.

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