THEGOOD : QU’EST-CE QUI FREINE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE SELON VOUS ?
Bertrand Piccard : Ce qui freine la transition écologique c’est le cadre légal qui peine à être modernisé. Or en tant que citoyens, nous devons tous agir pour que ce cadre légal soit plus réactif et au service de la transition écologique. Nous sommes d’ailleurs de plus en plus nombreux à demander au gouvernement et à ceux qui ont le pouvoir d’agir de manière plus stricte et efficace pour notre planète. C’est dans cette optique que nous avons travaillé l’année dernière avec Publicis Conseil. L’agence a imaginé une campagne de communication pour valoriser la démarche originale de l’initiative « Prêt à Voter » qui consiste à prendre les technologies existantes comme point de départ pour guider les législations. La fondation Solar Impulse a compilé 50 recommandations à mettre en œuvre, prêtes à être appliquées pour moderniser les réglementations françaises actuelles. Nous avons cherché une campagne pragmatique et sincère, qui interpelle les politiques concrètement et leur rappelle finalement leur responsabilité et leur pouvoir d’agir. Car le succès de la transition écologique ne dépend plus aujourd’hui du développement continu de nouvelles solutions technologiques, mais plutôt de la création de conditions qui permettent d’implémenter ces solutions et de profiter de tous les bénéfices qui les accompagnent. Et ce, parce que les problématiques environnementales sont des préoccupations fondamentales pour les Français, mais aussi des enjeux majeurs pour le gouvernement d’Emmanuel Macron. Résultat : une édition limitée du livre « Prêt à Voter » a été envoyée aux 577 députés français afin de leur servir d’inspiration. Avec succès : trois propositions issues du livre ont été ajoutées à la loi sur les énergies renouvelables, tandis que neuf sont actuellement débattues aux Sénat pour le projet de loi sur l’Industrie Verte et qu’une a fait son chemin jusqu’à être adoptée en Suisse.
THEGOOD : UNE CAMPAGNE QUI A D’AILLEURS ÉTÉ SALUÉE ET PRIMÉE CETTE ANNÉE DE 7 LIONS DONT 3 GOLD LIONS LORS DE LA 70ÈME ÉDITION DES CANNES LIONS. DE QUOI EST COMPOSÉ CE LIVRE « PRÊT À VOTER » EXACTEMENT ?
Bertrand Piccard : Le livre « Prêt à voter » se compose de neuf thématiques: Eau, Production d’énergie, Stockage, Construction & Logement, Planification & infrastructures, Agriculture & Alimentation, Biodiversité, Économie circulaire, Industrie. Chaque proposition présente une recommandation, avec les enjeux, l’explication de la solution avec ses impacts positifs en termes d’environnement et de profitabilité, le cadre réglementaire et l’aspect à faire évoluer, un exemple d’application « cas d’étude », ou un exemple de pays ayant mis en place une telle réglementation. Par exemple, la proposition numéro 1 évoque la géothermie urbaine. Elle précise que puisqu’il est aujourd’hui possible et économiquement rentable d’installer de la géothermie en zone urbaine, la législation pourrait imposer aux maîtres d’ouvrage de réaliser une étude de faisabilité portant sur l’utilisation de l’énergie géothermique pour tout projet de construction ou de travaux de rénovation énergétique des bâtiments. Autre exemple : la proposition numéro 15 sur les îlots de chaleur urbains explique qu’il est aujourd’hui possible et économiquement rentable de réduire la température en ville de 4°C durant les pics de chaleur. La législation pourrait rendre obligatoire l’identification des îlots de chaleur urbains au sein des documents d’urbanisme.
THEGOOD : VOUS PRÊCHEZ LA « BONNE PAROLE » EN PARLANT DES 1528 SOLUTIONS LABELLISÉES PAR LA FONDATION SOLAR IMPULSE À PLUSIEURS ÉLUS EUROPÉENS CAR ELLES PEUVENT S’APPLIQUER DANS TOUS LES PAYS DÉVELOPPÉS ?
Bertrand Piccard : Oui mais elles sont à adapter à chaque pays bien sûr. Selon les chiffres de l’Office fédéral de l’environnement, les secteurs les plus polluants en Suisse sont le transport (véhicules routiers), responsable pour 31 % des émissions, les ménages/services (chauffage aux combustibles fossiles), pour 26 %, et l’industrie (consommation d’énergie), pour 17 %. Les résultats d’une étude de la fondation Solar Impulse indiquent que si les propositions de Prêt à Voter étaient retenues et les solutions mises en œuvre, cela mènerait à une réduction considérable des émissions dans ces secteurs en particulier et mettrait le pays sur la voie de l’objectif zéro émissions. Nombre de ces propositions sont simples et non controversées, et ne nécessitent qu’une mise à jour de la législation, afin que cette dernière soit alignée sur ce que la technologie permet aujourd’hui. En voici trois exemples.
La proposition n° 3 met en lumière la technologie “Vehicle-to-Grid”, qui permet d’utiliser les batteries des véhicules électriques pour équilibrer les besoins du réseau énergétique. Les voitures étant à l’arrêt 23 heures par jour, les batteries des voitures rechargeables pourraient stocker l’électricité excédentaire du réseau et la réinjecter aux heures de pointe, contribuant ainsi à équilibrer l’offre et la demande d’électricité. Bien que tout à fait logique, ce système n’est pas explicitement autorisé ni encouragé à l’heure actuelle. Des modifications de la loi sur l’approvisionnement en électricité, telles que l’obligation pour les gestionnaires de réseau de reprendre l’électricité produite à partir d’énergies renouvelables et d’offrir une rémunération appropriée, pourraient permettre d’y parvenir. Autre cas : les habitants peuvent réduire leur consommation d’énergie de nombreuses manières, notamment au travers de leur consommation d’eau chaude. La proposition n°11 encourage les régulateurs cantonaux de l’énergie à introduire des lignes directrices relatives à la récupération de la chaleur résiduelle résidentielle, dont le respect conditionnerait l’obtention de subventions. La solution qui sert d’inspiration à cette mesure – Joulia – peut réduire la demande d’énergie nécessaire à chauffer l’eau des douches jusqu’à 62% en récupérant la chaleur de l’eau grise. Enfin, relative à l’industrie, la proposition #25 concerne une mesure pouvant permettre à la Suisse d’économiser jusqu’à 1,4 million de tonnes de CO2 en capturant et en utilisant la chaleur résiduelle qui s’échappe des processus industriels. Ce processus pourrait être mis en œuvre en introduisant des exigences de valorisation de la chaleur perdue dans les conventions d’objectifs conclues par les entreprises et les grands consommateurs, notamment en imposant un seuil minimum de consommation de chaleur renouvelable ou de récupération consommée.
La Fondation Solar Impulse a déjà commencé à travailler avec des acteurs clés pour finaliser le contenu de ces propositions. Au début du mois de mai 2023, des versions préliminaires ont été présentées à un groupe de parlementaires de tous bords politiques afin de discuter de la manière dont les propositions pourraient être développées avant d’être éventuellement soumises à l’examen lors de futures sessions parlementaires. En outre, la Fondation a commencé à travailler en étroite collaboration avec des acteurs clés de la transition écologique, notamment swisscleantech et Agropole, afin d’envisager la meilleure façon pour ces propositions de contribuer à l’adoption d’innovations en matière de technologies propres dans ces secteurs.
THEGOOD : DANS VOTRE LIVRE « RÉALISTE, SOYONS LOGIQUES AUTANT QU’ÉCOLOGIQUES » PARU EN 2021 AUX ÉDITIONS STOCK, VOUS ÉCRIVEZ « EST-IL RAISONNABLE DE PARIER SUR LE COURAGE DES AUTORITÉS PUBLIQUES, SUR LA SAGESSE DES CADRES LÉGAUX QU’ILS DEVRONT ÉDICTER POUR CONTENIR LA NATURE HUMAINE, SUR L’IMAGINATION DES INNOVATEURS ET SUR LE TALENT DES ENTREPRISES QUI ADOPTERONT CES SOLUTIONS ? TOUT DÉPEND DE LA VITESSE DE LEUR MISE EN ŒUVRE ». EXPLIQUEZ-NOUS.
Bertrand Piccard : Plutôt que de débattre sur ma capacité à être optimiste ou pessimiste, j’ai choisi d’être réaliste parce que je cherche à obtenir des résultats. Je suis convaincu que c’est ensemble que nous pourrons sortir de notre impasse écologique. C’est pour cela que je m’attèle à fédérer un maximum de personnes autour d’une approche concrète. C’est un travail de plaidoyer au service de l’intérêt général, contrairement au lobby qui sert des intérêts privés. C’est aussi lutter contre l’éco-anxiété et montrer aux jeunes que de nouveaux métiers s’offrent à eux, comme ceux de l’installation de panneaux solaires, de pompes à chaleur ou ceux liés à l’isolation des habitations. Les populations les plus pauvres peuvent aussi contribuer à leur échelle en collectant les déchets pour en faire une source de revenus. Lors d’un débat face à un intégriste vert, j’ai dit un jour : « Vous essayez d’arriver à tout avec le grand risque de n’arriver à rien. Moi j’essaie peut-être de n’atteindre que la moitié, mais je pense y parvenir ». Je suis convaincu qu’une société acceptable par tous est préférable à des restrictions clivantes.
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