La série documentaire Affaire Bettencourt : scandale chez la femme la plus riche du monde commence comme Downton Abbey, se poursuit comme Succession, et se conclut comme un soap opera haut de gamme. À l’origine de l’affaire, une question façon Cluedo : qui ? Réponse : le majordome avec un dictaphone dans le salon. À l’instar d’une bonne partie de la vingtaine de membres du personnel de maison, Pascal Bonnefoy est outré, par le comportement prédateur d’un « ami » de la propriétaire de L’Oréal, le photographe François-Marie Banier. Pendant un an, du printemps 2009 au printemps 2010, le majordome a enregistré les conversations secrètes tenues par sa patronne avec quelques visiteurs intéressés.

Les véritables écoutes, savamment distillées au long des trois épisodes de 50 minutes, servent de base au documentaire de Baptiste Etchegaray et Maxime Bonnet. Ce qu’on y entend est saisissant. On sursaute en entendant que la vieille dame a donné, sous diverses formes, près d’un milliard d’euros à François-Marie Banier, parce qu’il la distrayait. Une femme de chambre a même affirmé avoir entendu le photographe demander à sa bienfaitrice de l’adopter.
Avec une pointe d’humour, le documentaire nous permet d’apprendre quelques détails cocasses. Saviez-vous qu’un million d’euros en billet de 500 équivaut à la taille une brique de lait ? Et les briques de lait coulent à flots dans la propriété de Neuilly-sur-Seine. Car tout, ou presque, s’y transmet en liquide. Pour simplifier la vie des heureux bénéficiaires, la comptable, Claire Thibout, a même la bienséance de marquer chaque liasse de 10 000 euros d’un trombone.

Affaire Bettencourt, le tournant politique
Si le point de départ du scandale est un abus de faiblesse potentiel, les écoutes prennent un tournant politique avec leur révélation par Le Point et Mediapart en juin 2010. Apparaît un soupçon de financement illégal de la première campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Claire Thibout accuse ainsi Éric Woerth, trésorier de la campagne devenu ministre du Budget, d’avoir reçu une enveloppe de 150 000 euros. L’affaire dans l’affaire fait finalement un peu pschitt – Nicolas Sarkozy bénéficiera d’un non-lieu et Éric Woerth sera finalement relaxé –, mais en dit beaucoup sur les ententes et services rendus entre grandes fortunes et milieu politique. Derrière d’éventuels arrangements entre amis se dessine une évasion fiscale massive, mais qui est à 100 millions d’euros près ?
En dépit des sommes considérables en jeu, les volets politiques et fiscaux ne semblent toutefois que péripéties au milieu d’un conflit familial. Le cœur du documentaire réside dans le mésamour entre Liliane Bettencourt et sa fille, à qui le majordome a remis les enregistrements. Révoltée par les sommes reçues de sa mère par François-Marie Banier, Françoise Bettencourt Meyers porte l’affaire en justice. À travers cette action pour ne pas être spoliée, l’enfant négligée semble aussi chercher l’amour en héritage. Malheureusement, Françoise, désormais femme la plus riche du monde, a refusé de témoigner.

Le témoignage de Patrice de Maistre
Manquent également à l’appel la comptable, présente via des extraits de l’interview accordée à l’émission Complément d’enquête en septembre 2010, le majordome et le personnel politique mis en cause. Néanmoins, la mini-série est nantie d’un casting d’intervenants cossu parmi lesquels les journalistes Raphaëlle Bacqué et Edwy Plenel, l’avocat de Liliane Bettencourt, Georges Kiejman, décédé le 9 mai dernier à l’âge de 90 ans, le procureur Philippe Courroye ou encore le metteur en scène Jean-Michel Ribes. Une réflexion de ce dernier, proche du photographe, aurait pu servir de sous-titre au documentaire : « L’argent peut être aussi de l’amour. » Cerise sur le gâteau, l’intervention inattendue a priori d’Arielle Dombasle. Amie de Françoise, c’est elle qui a présenté François-Marie Banier à Liliane Bettencourt. Au premier rang des interviewés moins célèbres émerge Patrice de Maistre, gestionnaire de patrimoine. Son courage s’avère indéniable, car les enregistrements, dont il est le principal protagoniste, ne sont guère à son avantage.

L’absence de révélations nouvelles n’empêche pas de ressortir abasourdi de cette plongée inédite dans le monde des ultra-riches. Le documentaire se dévore comme une série à suspense, cliffhangers inclus. Passage quasi obligé d’un genre où les images d’archives sont forcément rares, les reconstitutions sont soignées et légères avec le parti pris intelligent d’une caméra en surplomb. De la belle ouvrage, dans la lignée des documentaires sur l’affaire Grégory ou sur Monique Olivier précédemment produits par Netflix, dont on aimerait que les séries de fiction françaises atteignent une qualité aussi indiscutable.

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