La France n’a pas encore son OpenAI, mais elle a vu naître vendredi 17 novembre son propre laboratoire d’intelligence artificielle à but non lucratif, tel que s’était présentée la star américaine du secteur à ses débuts. Baptisée « Kyutai » – « sphère » en japonais -, cette fondation regroupera des spécialistes de la recherche fondamentale dans ce domaine appelé à changer le monde.

Pour les attirer à Paris plutôt que chez les champions américains du secteur, elle laissera à ces têtes bien faites la liberté de publier dans les revues scientifiques leurs découvertes technologiques à même d’engendrer la création de nouveaux modèles d’intelligence artificielle. Les start-up auront ainsi la liberté d’exploiter ces briques technologiques bourrées d’innovations.

Comme annoncé fin septembre, Xavier Niel investit massivement dans ce projet qu’il a présenté au cours d’une conférence organisée à Station F devant un parterre d’entrepreneurs de la tech. « La dernière fois que j’étais là, c’était pour lancer Station F en 2017 », a posé le parrain de la French Tech, comme pour rappeler l’enjeu de la journée : faire décoller l’écosystème français des start-up de l’intelligence artificielle de la même façon que son incubateur a permis le décollage de nombre de jeunes pousses parisiennes.
Certes, l’écosystème est déjà bien constitué après les efforts faits par le gouvernement dans la formation d’experts de niveau mondial et dans la mise à disposition de supercalculateur. Mais l’apport d’investisseurs privés n’est pas de trop, tant le secteur est en ébullition.
“Tout l’écosystème IA européen bénéficiera de ce laboratoire », a assuré le fondateur de Free qui ne veut pas voir l’avenir de la tech dépendre exclusivement des technologies américaines alors qu’OpenAI (ChatGPT), Google (Gemini) ou Meta (Llama) ont pris de l’avance. Le laboratoire vise d’ailleurs à faire les mêmes types de modèles que les Américains ou que les start-up comme le français Mistral AI. Et alors que l’open source est parfois mal vu à Bruxelles où se joue l’avenir de la réglementation sur le sujet, Xavier Niel estime qu’il est « trop tôt pour la régulation » en Europe puisque l’écosystème y est moins mature qu’aux Etats-Unis.

Rodolphe Saadé, investisseur dans l’IA
Contrairement à il y a six ans, le milliardaire n’investit pas à titre personnel mais via son groupe qu’il détient en quasi-totalité. Il n’est surtout pas seul dans l’aventure puisqu’il est rejoint par son nouveau partenaire en affaires, Rodolphe Saadé. Le patron du transporteur CMA CGM va investir 100 millions d’euros dans ce laboratoire de recherche, c’est-à-dire la même somme que Xavier Niel. Par ailleurs, Eric Schmidt, l’ancien patron de Google, se joint au duo avec d’autres financeurs.
D’ores et déjà, les travaux de Kyutai pourront compter sur environ 300 millions d’euros au total. Certes, c’est encore loin des sommes sur lesquelles peuvent compter d’autres laboratoires aux Etats-Unis, mais les trois cofondateurs ont appelé d’autres investisseurs à soutenir leur projet. « ChatGPT, c’était des investissements annuels de 100 millions de dollars pendant un petit nombre d’années », a aussi relativisé Xavier Niel.
Concrètement, une équipe, entièrement masculine, de six chercheurs ainsi que de doctorants est déjà réunie. Son objectif est de construire la totalité d’un nouveau modèle d’intelligence artificielle d’ici un an. « Nous n’allons pas attaquer les mêmes problématiques que Google DeepMind. Nous allons nous focaliser sur des modèles multimodaux, aller au-delà du texte, par exemple vers le son », illustre Neil Zeghidour, un des chercheurs. Le laboratoire surveillera d’un oeil particulier les progrès de Mistral AI, une start-up également financée par Xavier Niel et Rodolphe Saadé qui vient de dévoiler son premier modèle.

Des chercheurs issus de Meta et DeepMind
Sans grande surprise, et comme Mistral AI, Kyutai a débauché de purs produits des grandes écoles françaises passés chez les grands noms de la tech. Notamment au sein de Meta, qui a un laboratoire d’intelligence artificielle à Paris (FAIR) depuis 2015 : Edouard Grave, Hervé Jegou (qui a fait partie de l’équipe fondatrice du laboratoire) et Alexandre Défossez. Deux autres chercheurs – Laurent Mazaré et Neil Zeghidour – viennent, quant à eux, de DeepMind, start-up d’IA rachetée par Google en 2014. « Aucun de nous n’est parti fâché », précise Patrick Pérez, autre membre de l’équipe.
Ce dernier est vice-président IA de Valeo et directeur scientifique de Valeo.ai, un laboratoire de recherche pour les applications automobiles, installé à Paris. Dans une récente tribune aux « Echos », il déclarait qu’« aucun acteur du secteur n’y parviendra seul : comme la communauté scientifique de l’IA le fait déjà beaucoup, partageons les données, partageons les idées, partageons les codes pour rendre les mobilités du futur bien plus autonomes, plus sûres et plus sobres ».
Kyutai pourra bénéficier des dernières puces du fabricant américain Nvidia, réputé le plus en avance dans le domaine des processeurs pour l’intelligence artificielle. Alors que ces ressources sont devenues rares, le laboratoire pourra compter sur son partenariat avec Scaleway, la filiale d’informatique en ligne du groupe Iliad, elle-même partenaire de Nvidia, mais ne s’interdit pas de passer commande auprès d’autres plateformes d’informatique en ligne.

Lire l’article complet sur : www.lesechos.fr