Voiture électrique : le grand blues des garagistes
« De toute façon, ce choix technologique est avant tout un choix politique. » Benoît Davy coupe court au débat qui s'installe dans sa classe de Carquefou, près de Nantes, ce mercredi matin. Ce formateur du GNFA, l'organisme de formation spécialisé dans les services de l'automobile, connaît la rengaine. Les garagistes qui viennent se former à l'entretien des véhicules électriques ne veulent pas entendre parler de voiture à batterie. Du moins pas au départ. Une façon plus ou moins subtile de faire comprendre à ses élèves qu'ils n'échapperont pas à l'électrification du parc automobile. Qu'ils travaillent dans un garage indépendant, dans un réseau multimarques ou pour un concessionnaire, leur métier est appelé à se transformer considérablement. Rapidement, les stagiaires venus obtenir une habilitation leur permettant d'opérer sur des véhicules à batterie admettent qu'ils « n'ont pas le choix », comme le dit Julien, technicien chez un concessionnaire multimarque en Charente-Maritime. Car la falaise du tout électrique pointe à l'horizon et avec elle une nette diminution des emplois dans le secteur. Postes en moins Entre 1.500 et 3.000 postes par an devraient être perdus d'ici à 2035, selon une étude de l'Observatoire des métiers des services de l'automobile de l'Anfa, l'organisme de branche, publiée l'an dernier. LIRE AUSSI : Voiture électrique : la révolution du parc automobile français en 5 graphiques Et pour cause, les voitures électriques nécessitent moins d'heures d'entretien - exit la vidange, les changements de plaquettes de frein ou autre joints de culasse… -, et le volume d'activité des garages devrait drastiquement diminuer à mesure que le parc va se transformer. Plus d'un million de voitures 100 % électriques roulent déjà sur les routes françaises . Pour rappel, selon l'Acoss, 157.000 personnes travaillaient dans l'entretien-réparation de véhicules en France en 2022, note le cabinet Xerfi dans une analyse publiée en juillet dernier. « La situation ne sera pas vécue de la même manière par les concessionnaires de grandes marques, les réseaux multimarques ou les garagistes de quartiers », note Jocelyn Gombault, responsable de projets à l'Observatoire de l'Anfa. Ces pertes seront amorties par des départs à la retraite non remplacés. Jocelyn Gombault Responsable de projets à l'Observatoire de l'Anfa A court terme, les concessionnaires adossés à des constructeurs seront les plus affectés par ces diminutions d'emplois. Les véhicules électriques neufs étant généralement vendus avec des packs entretiens, leur volume d'activité devrait rapidement diminuer. « Ces pertes seront cependant amorties par des départs à la retraite non remplacés, entrevoit Jocelyn Gombault. Aujourd'hui on est plutôt autour de 1.800 postes en moins par an pour 2.000 départs. » «La problématique actuelle des garagistes de quartier, c'est de maîtriser le flux des diesels», constate Jocelyn Gombault, chargé de projet à l'Anfa.Pierre Merimee / REA A contrario, les garagistes de quartier n'ont pas trop de soucis à se faire dans l'immédiat. « Leur problématique actuelle, c'est plutôt de maîtriser le flux des diesels », constate le chargé de projet à l'Anfa. Les mécaniciens réparateurs profitent de l'allongement de la durée de vie des véhicules thermiques. L'Observatoire enregistre encore 700.000 changements de courroie de distribution réalisés par des MRA, contre 200.000 par des concessionnaires de grandes marques. LIRE AUSSI : Le grand chamboule-tout des concessions automobiles La voiture électrique trois fois moins chère à l'usage que l'essence ou le diesel… sauf sur autoroute Les petits garages comme les réseaux multimarques spécialisés dans l'entretien des véhicules (Midas, Speedy, Norauto…) ont cependant des raisons de s'inquiéter. « Le chiffre d'affaires de l'après-vente automobile va se contracter de près de 47 milliards d'euros en 2019 à 42 milliards en 2036 », note Xerfi, sous l'effet de la baisse du volume d'activité. Un métier différent Le métier de mécanicien est donc appelé à se transformer rapidement. « Sur les voitures électriques, on n'a rien à faire à part du pneu. Si Michelin évolue, on est mort », tempête Julien, alors que son groupe de techniciens en formation part en pause déjeuner. A table, les discussions reviennent très vite vers la véritable passion des stagiaires : les moteurs thermiques. « Il y a moins d'entretien à réaliser sur les véhicules électriques. Mais pas forcément moins de maintenance », tempère Stéphane Brizard, responsable produits de formation au GNFA. Pour lui, il y aura toujours du travail dans les ateliers, ne serait-ce que sur les trains roulants, le système de chauffage ou encore la connectivité. « Un jeune qui entre aujourd'hui en formation automobile par passion pour les moteurs thermiques doit bien comprendre qu'il n'aura que 40 ans en 2050 », quand tout le parc automobile doit passer à l'électrique, abonde Jocelyn Gombault. Le besoin se fait déjà sentir chez les concessionnaires adossés à des grandes marques. « Parfois, les clients arrivent et en savent plus que nous sur leur véhicule électrique », déplore Nicolas, technicien pour une grande marque japonaise. Formations spécifiques L'organisme qui forme 40.000 personnes par an, a vu croître fortement les demandes de formation spécifique à l'électrique ces trois dernières années. Les concessionnaires en tête. LIRE AUSSI : Automobile : pataquès à Bruxelles sur le passage au 100 % électrique en 2035 La voiture électrique à 100 euros attire les foules Mais les réseaux multimarques et certains garagistes de quartier commencent aussi à se pencher sérieusement sur la question. Chez Norauto France (groupe Mobivia), par exemple, on revendique « 100 % de collaborateurs déjà formés au niveau averti », le premier échelon d'habilitation, affirme Stéphane Derville, directeur projets innovation. Pascal Brethomé, président régional du syndicat professionnel Mobilians, explique lui avoir changé de stratégie de recrutement pour s'adapter à la révolution électrique. « Avant je prenais toujours deux apprentis tous les ans, maintenant je préfère recruter une personne plus âgée pour la former aux nouveaux usages », détaille-t-il. LIRE AUSSI : Comment Norauto passe à l'électrique Ce patron d'un garage en Vendée, comptant plusieurs baies (là où rentrent les voitures), a même rejoint un réseau multimarques afin de profiter de son circuit interne de formation. « Comme ça, quand j'ouvrirai ma baie dédiée à l'électrique, j'aurais déjà quelqu'un pour s'occuper des véhicules », ajoute le dirigeant. Des investissements conséquents Ouvrir dans son garage un pont dédié à l'électrique n'est toutefois pas donné à tous les garagistes. D'abord, il faut de la place ; ces véhicules doivent être traités dans un espace spécifique de l'atelier. Ensuite, il faut des équipements adéquats, comme des gants et des outils isolants, des valises de diagnostics, etc. Pour pouvoir réaliser l'entretien des voitures électriques, les garagistes doivent investir notamment dans des équipements adéquats, comme des gants et des outils isolants, des valises de diagnostics, etc.iStock « C'est un investissement de 50.000 euros minimum », affirme Pascal Brethomé. A cela, vient s'ajouter le coût de la formation, les abonnements aux logiciels pour la maintenance des équipements, ou encore l'installation de bornes de recharge … Xerfi prend pour exemple le Groupe Schumacher, propriétaire d'une cinquantaine d'ateliers en région parisienne, qui a annoncé entre 70.000 et 100.000 euros d'investissement par centre pour s'équiper.