Dans les rangs de la SNCF, certains s’émeuvent du fait que la branche française de Trenitalia, la première compagnie européenne à avoir lancé ses propres TGV sur le marché tricolore en décembre 2021, n’a toujours pas publié ses comptes sociaux pour l’année 2022. Cet exercice était rituellement accompli chaque juillet de l’année suivante par son ancêtre Thello.

La raison de ce vide comptable tient certainement au fait que la pente de la concurrence sur le marché français du train est bien plus raide que prévu. C’est ce qui ressort de la lecture d’un récent avis de l’Autorité de régulation des transports (ART), portant sur les remises tarifaires accordées par le gestionnaire d’infrastructures SNCF Réseau à l’opérateur transalpin, pour faire rouler ses trains Frecciarossa sur les segments français de son parcours (soit Paris-Lyon et Paris-Modane via Lyon).

Deux millions de passagers sur Paris-Lyon
Le premier concurrent des TGV de la SNCF, qui a célébré au début décembre son deux millionième passager transporté sur la voie royale Paris-Lyon, affiche cependant un tableau commercial moins rose qu’il n’y paraît.
L’éboulement d’une falaise près de Modane, le 27 août dernier, n’a certes rien arrangé, condamnant sur longue période la ligne vers Turin et Milan, comme du reste les trains quotidiens de la SNCF. Mais avant même cet aléa imprévisible, le gendarme français des transports, qui est loin d’être opposé par principe à la concurrence, constate que le décollage de Trenitalia est assez poussif.
Saisie pour statuer sur la réduction de péages ferroviaires à accorder à la compagnie italienne en 2024 par SNCF Réseau en sa qualité de nouvel acteur (après -37 % en 2022, puis à nouveau -16 % en 2023), l’Autorité constate que « la montée en charge est plus lente que celle estimée initialement », soit avec la première saisine de mars 2022.

« Recettes inférieures »
Trenitalia communique peu sur ses résultats commerciaux et encore moins financiers, mais l’ART enfonce le clou : « Les recettes de 2022 et du premier semestre 2023 sont inférieures à celles qui avaient été prévues pour le dimensionnement des réductions [de péages] négociées en 2022 […] Les recettes actualisées pour le deuxième semestre 2023 et l’année 2024 sont également inférieures à celles qui avaient été estimées », souligne l’avis. Sans doute la rançon des bas tarifs pratiqués par le transporteur, pour acheter des parts de marché face à SNCF Voyageurs.
Conclusion de l’ART : elle approuve sans sourciller la nouvelle réduction des redevances ferroviaires de 9,5 % pour l’année 2024 sur Paris-Lyon et Paris-Modane, rabais réajusté par rapport aux -8 % annuels proposés à l’origine par SNCF Réseau. Avec comme argument juridique que les TGV à la robe rouge vermillon n’ont pas fini leur montée en régime (« ramp up ») en termes de demande.

L’inconnue des travaux en Savoie
« Trenitalia France se trouve toujours dans une situation objectivement et temporairement différente d’une exploitation nominale », résume l’Autorité sans autre jugement. Et en 2025, son trafic de passagers devrait croître de seulement 8 % par rapport à 2024, soit beaucoup moins que la croissance d’au moins +50 % envisagée auparavant.
Et encore, ce progrès va dépendre en dernier recours de deux paramètres exogènes importants : la date de réouverture définitive de la ligne France-Italie vers Milan, après de lourds travaux de réhabilitation. Et les parts de marché prochainement captées par l’espagnol Renfe sur Paris-Lyon-Marseille, qui prépare à son tour son arrivée sur l’axe majeur de la SNCF, avec des TGV Talgo de grande capacité.

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