Sur le papier, la France est en pointe dans la défense de la vie privée et des données personnelles sur Internet, sur les réseaux sociaux et toute autre forme de programmes informatiques comme l’intelligence artificielle. Dans son rapport 2023, la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés), sous la plume de sa présidente, s’enorgueillit d’avoir reçu 16.433 plaintes , « soit le double d’avant 2018 […] Ces chiffres témoignent d’un intérêt croissant du public pour les enjeux ‘informatique et libertés’, comme le confirment également les presque 12 millions de visiteurs ayant consulté le site de la CNIL en 2023 ».

Pourtant, qui se souvient encore que la loi Informatique et Libertés de janvier 1978, instituant la CNIL, a été votée en réaction au projet Safari – (Système automatisé pour les fichiers administratifs et répertoires des individus) – qui visait à utiliser un identifiant unique afin d’interconnecter tous les fichiers que les administrations possédaient sur une même personne ?
L’idée avait soulevé un tollé à l’époque. Aujourd’hui, les bases de données des impôts, des CAF (Caisses d’allocations familiales) ou des CROUS (centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires), par exemple, sont reliées entre elles.

Au volant d’un bolide italien
La chasse à la fraude est même ouverte sur les réseaux sociaux, puisque, selon la loi de finance pour 2024 des « agents des finances publiques […] spécialement habilités peuvent […] sous pseudonyme et sans être pénalement responsables, prendre connaissance de toute information publiquement accessible sur les plateformes en ligne […] ».
Autrement dit, si vous vous pavanez sur Facebook au volant d’un bolide italien ou allemand, votre déclaration de revenus a intérêt à être à la hauteur. Attention aussi aux images satellites qui peuvent trahir votre piscine non déclarée. Mais, là, l’algorithme de Bercy se tromperait de cible une fois sur trois, selon le syndicat CGT Finances Publiques des Bouches-du-Rhône.
Les logiciels de reconnaissance faciale sont beaucoup plus efficaces, comme l’a démontré ce journaliste canadien qui, fin 2023, a retrouvé en quelques clics une présumée terroriste de la Fraction armée rouge, recherchée depuis plus de trente ans par la police allemande. À l’heure de la vidéosurveillance généralisée, la photo d’une personne constitue un autre « identifiant unique » permettant de la suivre à la trace. Si vous pensez que votre dossier photo est vierge sur Internet ou, pire, le Dark Web, allez jeter un coup d’oeil sur PimEyes…
La situation est encore pire, bien sûr, si vous êtes sur les réseaux sociaux. Qui se souvient encore qu’Edward Snowden, un employé d’un sous-traitant de la NSA (National Security Agency), l’agence du renseignement électronique américaine, avait révélé en 2013, que cette organisation siphonnait allègrement les informations accumulées sur chacun d’entre nous par, entre autres, Microsoft, Yahoo!, Google, Facebook, YouTube, Apple…

Le tout, officiellement, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Le Trans-Atlantic Data Privacy Framework (Cadre de protection des données UE – Etats-Unis), qui régit les transferts de données des citoyens européens vers les Etats-Unis, n’y a rien changé.
C’est une véritable passoire qui avait d’abord été rejetée en avril 2023 par le Parlement européen avant d’être approuvée par la Commission européenne. Dans ce contexte, les reproches de Washington vis-à-vis de la Chine et de son réseau social TikTok auquel sont abonnés 170 millions d’Américains, ne manquent pas de sel. La NSA sait très bien ce qu’une agence gouvernementale peut faire avec autant de données…
Malheureusement, il suffit de discuter des réseaux sociaux avec des collégiens ou des lycéens pour comprendre que les générations qui seront aux manettes dans quelques années se soucient comme d’une guigne de ces « délires de barbouzes ». Ils ne voient même pas où est le problème quand on leur explique qu’un algorithme observe tout ce qu’ils font sur Snap ou Insta et leur pousse des contenus personnalisés afin de leur faire passer toujours plus de temps sur ces plateformes.
Les adultes sont à peine plus lucides. Des recherches ont montré qu’une des motivations qui nous poussent à accepter de laisser toujours plus de traces numériques, malgré le risque qu’elles puissent être utilisées à des fins de profilage commercial ou sécuritaire, pouvait être la tentation de nous survivre à nous-même en nous construisant une forme d’éternité numérique .

Déjà des start-up américaines et chinoises proposent d’utiliser l’intelligence artificielle et toutes les archives numériques qu’ont laissées nos morts pour faire revivre ces derniers sous forme d’un avatar et d’un robot conversationnel. Les réseaux sociaux nous vendront-ils bientôt cette option : créer un double numérique de nous-mêmes dont le chatbot pourra éternellement répondre à tous les reproches de nos descendants, sur des générations et des générations ? Les psys vont avoir du travail…

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