Après l’annonce des résultats des élections européennes, les cartes politiques sont plus que jamais rebattues dans le Vieux Continent. C’est peu de le dire. Dans la plupart des 27 pays de l’Union européenne, le scrutin de début juin a consacré une large et historique victoire de l’extrême droite, ce que prédisaient d’ailleurs les sondages quelques semaines plus tôt. En France, par exemple, le Rassemblement national (RN), emmené par son président, Jordan Bardella, a raflé plus de 30 % des voix, loin devant Renaissance, le parti du président Emmanuel Macron, qui s’en est sorti avec à peine 15 % du suffrage. Même scénario en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas… Selon les estimations, la droite nationaliste s’empare de près d’un quart des 720 sièges de l’hémicycle européen. « Un butin électoral assez grandiose », considère le quotidien marocain L’Opinion.
Jusque-là dominé par le Parti populaire européen (PPE), de droite, et les socio-démocrates, un basculement en faveur de l’extrême droite, pour ne pas dire une nouvelle ère, s’annonce pour le Parlement européen. Dans l’immédiat, les premiers résultats du vote ont eu l’effet de contraindre à des mesures d’urgence dans certains États membres. C’est le cas de la France où, dans la foulée, le président Emmanuel Macron a décidé la dissolution du Parlement et annoncé des législatives anticipées qui devraient se tenir le 30 juin pour le premier tour et le 7 juillet pour le second.
Des élections très scrutées au sud de la Méditerranée
Il faut dire qu’une élection des eurodéputés, comme tout autre scrutin, comporte des enjeux de tous ordres. Là, ces enjeux commencent par le rôle même que devront jouer les élus. En effet, ces derniers auront, entre autres responsabilités, l’élection des présidents du Parlement européen et de la Commission européenne, la nomination des commissaires, le vote des lois européennes ainsi que le budget de l’UE. Autant dire que ces eurodéputés devront déterminer l’avenir de l’Europe, y compris sa politique extérieure, ses questions économiques, sociales, etc.
Au regard des enjeux en place, les secousses de ce séisme politique que traverse l’Europe sont ressenties au-delà des frontières du continent. À l’est ou à l’ouest, au nord comme au sud européen, les résultats du vote et surtout la percée de l’extrême droite sont scrutés et commentés. Quelles répercussions politiques la composition du nouveau Parlement européen aura-t-elle sur la politique de l’UE vis-à-vis des gouvernements et des populations en Afrique ? Mais aussi de la diaspora africaine qui vit en Europe ? Assisterons-nous à une accélération des accords entre pays sur, par exemple, l’externalisation des frontières pour freiner les migrations avec l’accord de l’UE ? Les législatives anticipées en France auront-elles des conséquences directes pour les Africains et la diaspora qui vit en Europe ?
Au Burkina Faso, le journal Le Pays se demande franchement ce que cette montée de l’extrême droite en Europe pourrait avoir comme impact sur l’Afrique. « Faut-il s’en réjouir ou s’en inquiéter ? » s’interroge en effet le canard. Alors que plusieurs pays du continent africain restent des points de départ de milliers de migrants illégaux vers l’Europe, la question migratoire n’est pas des moins sensibles lorsqu’il s’agit de commenter les européennes. Rien qu’en Tunisie, 462 corps de migrants irréguliers ont été repêchés sur les côtes depuis le début de l’année, selon un récent bilan dressé par les autorités de ce pays du Maghreb.
Un intérêt de l’Afrique pour la question migratoire
Pour certains, cette question migratoire a même été déterminante dans les résultats du vote. « Il faut dire que le phénomène migratoire est passé par là, avec ces spectacles de cohortes de damnés de la terre qui prennent d’assaut les côtes européennes à la recherche d’un hypothétique Eldorado. Poussant ainsi chaque État du Vieux Continent à se barricader, à l’image de Frontex, ou même à mettre des programmes dans certains pays africains pour mieux contenir les candidats à l’immigration », commente le journal L’Observateur Paalga. Cette poussée de la droite radicale est symptomatique de la psychose migratoire qui s’est emparée de toute l’Europe et ne cesse, à chaque élection, de gonfler les voiles des partis d’extrême droite », poursuit ce quotidien privé burkinabé. Plus loin, L’Observateur Paalga analyse que « les partis nationalistes d’extrême droite ont désormais davantage d’action aux leviers de la législation communautaire [et] ne manqueront pas l’occasion d’imprimer un virage dans la politique migratoire, au grand bonheur d’une bonne partie de leurs populations et au grand dam de la bien-pensance africaine qui ne manquera pas de monter au créneau en criant à l’égoïsme national et au mépris de l’homme noir ».
De son côté, Le Matin, quotidien marocain, estime que la traduction politique de cette avancée des partis d’extrême droite « ne sera pas si forte que ce qu’on laisse croire, en raison des dissensions au sein même de ce courant ». Le journal explique que le dernier mandat du Parlement européen (2019-2024) a révélé que « les membres de ce courant sont loin de former un bloc homogène, s’éparpillant au gré des votes. Les désaccords se manifestent, à la fois au sein même d’ECR ou d’ID, mais plus encore entre ces deux groupes, particulièrement sur les questions de politiques internationales ».
« Un mal pour un bien pour l’Afrique »
« La montée de l’extrême droite en Europe pourrait être un mal pour un bien pour l’Afrique », analyse par contre Le Pays, qui note que cette poussée nationaliste intervient dans le contexte d’une Afrique en pleine mutation, où de plus en plus de pays africains invoquent la question de leur souveraineté dans le choix et la diversification de leurs partenaires. « Et si dans le cas d’espèce, on est loin du repli identitaire aux relents de xénophobie qui caractérise la plupart des mouvements d’extrême droite, il n’empêche que cette façon, pour ces pays africains, de se recentrer sur eux-mêmes, dénote d’une volonté de rupture avec un ordre ancien », argumente Le Pays. Toujours selon ce journal, « une telle situation mettrait les dirigeants africains face à leurs responsabilités en les obligeant à trouver des solutions innovantes à la crise migratoire pour fixer les Africains sur un continent qui a besoin de la force des bras et de l’intelligence de ses fils pour amorcer son vrai développement ».
Au-delà des répercussions de façon globale sur le continent africain, le contrôle imminent du Parlement européen par la droite est pesé et soupesé sur la balance des intérêts bilatéraux. Dans certaines capitales, on évalue déjà les pertes et les profits liés aux enjeux géopolitiques et économiques. Au Maroc, on estime que « le renforcement du Parti populaire est jugé positif pour autant qu’il s’agit d’un allié historique [de Rabbat] au sein du Parlement européen », selon le Conseiller istiqlalien et président de la Commission mixte Maroc-UE, Lahcen Haddad, cité par le quotidien marocain L’Opinion. Ce journal, qui cite toujours Lahcen Haddad, ajoute que « l’unique parti d’extrême droite le moins amène à l’égard du Royaume est VOX, mais cela est dû à des raisons de politique intérieure en Espagne plutôt qu’à la question du Sahara ; […] les partis dits nationalistes sont favorables aux intérêts du Maroc et à son intégrité territoriale, contrairement à la gauche, que ce soit les socialistes, les Verts ou les radicaux ».
Un enjeu hautement géopolitique pour le Maroc
Si, en France, « l’intérêt que porte la droite patriotique se manifeste dans le discours de la présidente du RN, Marine Le Pen, qui a déploré la crise franco-marocaine et dénoncé le tropisme algérien d’Emmanuel Macron », L’Opinion admet que « tout dépend des futures coalitions au sein du Parlement européen et de la composition des groupes thématiques pour avoir une idée plus claire sur les alliés potentiels du Royaume ».
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