La France est partie avec un temps de retard par rapport à l’Italie ou à l’Espagne sur l’ouverture des grandes lignes ferroviaires à la concurrence, mais le signal du départ est bel et bien donné.

Après l’arrivée des opérateurs historiques, l’italien Trenitalia en 2021 et l’espagnol Renfe en 2023, sur quelques axes rentables, de nouveaux venus domestiques se préparent activement à concurrencer les TGV de la SNCF. Proxima, Le Train ou Kevin Speed (sous la marque « Ilisto ») veulent se lancer avec des arrivées programmées entre 2026 et 2028.
« Si l’ensemble des différents projets annoncés parviennent à se lancer, le marché français deviendra le plus concurrentiel d’Europe sur la grande vitesse », selon une étude du cabinet E-Cube Strategy Consultants. A condition que le prochain gouvernement joue le jeu, n’entrave pas le mouvement dicté par des textes européens. Et trouve les improbables ressources budgétaires pour concrétiser le plan de 100 milliards pour moderniser le système ferroviaire, annoncé en son temps par l’ex-Première ministre Elisabeth Borne.

Billets moins chers pour les clients
Au vu des cas de l’Italie et de l’Espagne, « le retour d’expérience est positif pour les passagers », selon Etienne Jan, associate partner du cabinet. Par un choc d’offre, « l’ouverture à la concurrence a généré une augmentation de la fréquence de 30 à 60 % et du trafic de 50 à 75 % en Espagne et en Italie sur les lignes ouvertes ».
Quant au prix des billets, les clients sont largement gagnants, l’arrivée de nouveaux entrants ayant généré, après une première vague de promotions destinées à acheter des parts de marché, « une réduction des prix moyens de 10 à 20 % pour l’usager », selon l’étude.
Ainsi en Espagne, la double arrivée de la SNCF, avec Ouigo Espana, et de Trenitalia avec Iryo a contraint la Renfe à lancer à son tour ses trains low cost Avlo. Aussitôt, le trafic a augmenté de 50 % sur les liaisons principales entre 2019 et 2023, avec des clients auparavant habitués à prendre leur voiture. Et le choc d’offre a entraîné « une baisse des prix de plus de 20 % sur les lignes Madrid-Barcelone et Madrid-Valence ».
Même constat avec le précédent italien. Un marché domestique transalpin que la SNCF s’apprête à conquérir à son tour, à partir de 2026, avec un produit low cost dérivé du produit Ouigo et ses 15 nouveaux TGV à deux étages et densifiés, selon le projet « Allegro » déjà dévoilé en interne. Une concurrence « par le bas » à l’égard des deux opérateurs actuels, Trenitalia et Italo (NTV), qui exploitent respectivement 59 % et 41 % des fréquences vendues sur la voie royale Rome-Milan.

Péages plus élevés en France
Le marché français fera-t-il autant la part belle aux nouveaux entrants que ses deux voisins d’Europe du Sud ? De nombreuses barrières à l’entrée subsistent dans l’Hexagone, observe Etienne Jan. « Des barrières industrielles pour avoir accès aux trains, les accès aux sillons sur les voies si beaucoup d’acteurs en demandent, des difficultés à trouver de la place dans les gares, et les tarifs des péages ferroviaires », énumère-t-il. Comme l’infrastructure est moins subventionnée qu’ailleurs en Europe, « le péage moyen sur le réseau français à grande vitesse était en 2019 de 16 euros par train-km, contre 5 euros en Italie ou 7 euros en Espagne », rappelle le consultant. Un frein matériel à la baisse des tarifs.

Réduire le prix des péages – une réflexion lancée de longue date en France mais sans résultat concret -, pourrait, si le futur gouvernement issu des urnes s’y résout, améliorer la compétitivité du train, le bilan carbone global des transports, et créer une demande induite de trains. Donc à terme, plus de passagers annuels, et plus de recettes pour le gestionnaire d’infrastructures, SNCF Réseau.
Favorable aux clients du rail, l’arrivée de la concurrence l’est-elle également pour les opérateurs historiques ? Visiblement pas à court terme. Ces derniers doivent avoir les reins solides avant d’entrevoir la rentabilité.

Avec l’arrivée de Trenitalia, la SNCF a perdu son monopole historique sur Paris-Lyon, la liaison la plus fréquentée d’Europe (44 millions de passagers, soit un tiers du trafic longue distance en France), rappelle le cabinet E-Cube. Gonflant pour le groupe français le poids relatif de ses lignes domestiques déficitaires, par exemple vers Arras, Chambéry ou Nancy, qui ne seront jamais convoitées par ses rivaux.

Grosses pertes de Trenitalia en France
Or même sur cette voie royale, prolongée vers Turin et Milan, Trenitalia France a perdu 34,5 millions d’euros en 2022, pour un chiffre d’affaires quasi équivalent de 39,5 millions, selon nos informations. Pas mieux pour la SNCF qui a connu un lancement similaire avec Ouigo Espagne , qui a généré des pertes de 36 millions en 2022, souligne E-Cube. Le premier équilibre est toutefois prévu pour cette année, ajoute l’état-major de SNCF Voyageurs.

Une chose est sûre : le terrain de jeu des opérateurs de TGV n’est plus domestique mais européen, comme le démontre déjà le match à trois entre SNCF, Trenitalia et Renfe. En débarquant en Italie en 2026 sur les lignes Turin-Rome-Naples et Turin-Venise, l’opérateur français espère bien rogner la marge de Trenitalia sur son marché domestique, pour freiner ses capacités d’investissements à l’international, selon les plans déjà présentés au comité d’entreprise européen.

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