Une onde de choc. Pour la première fois de l’histoire de la Ve République, le RN et ses alliés sont arrivés nettement en tête du premier tour des élections législatives (33,15 % des voix) et pourraient, dans une semaine, être les forces dominantes à l’Assemblée nationale – et donc former, potentiellement, le futur gouvernement.

Une perspective redoutée dans la French Tech, choyée depuis sept ans par le président Macron et qui a mis en garde pendant la campagne électorale contre un « repli sur soi » susceptible de provoquer une fuite des cerveaux et des investissements étrangers .

Mais cette crainte n’est pas ressentie partout de la même façon. Au sein du family office Otium Capital, c’est même le contraire. Ces derniers mois, la presse française a publié plusieurs articles sur la proximité avec l’extrême droite de son fondateur, Pierre-Edouard Stérin – qui a fait fortune avec les coffrets cadeaux Smartbox – , et son directeur général, François Durvye.

Un malaise teinté de prudence
Conservateur catholique revendiqué, Pierre-Edouard Stérin crée des ponts entre LR et le RN et a récemment acheté avec son bras droit la demeure de Jean-Marie Le Pen à Rueil-Malmaison. Une simple opération immobilière, arguent-ils. François Durvye assume sans fard être proche de Marine Le Pen – elle était invitée à son anniversaire – et fréquente Jordan Bardella. « Quand ils me demandent des avis, je leur donne », explique ce polytechnicien qui pousse une ligne pro business auprès d’eux, sans toutefois avoir un rôle officiel dans l’organigramme du RN.

« Pierre-Edouard et moi avons chacun nos idées. Mais elles n’engagent que nous, pas Otium Capital », poursuit François Durvye. Le family office récuse toute forme de financement du RN, ni placement de proches pour les élections législatives, comme l’a suggéré récemment un article du « Monde » .

Malgré ces réassurances, ces contacts avec l’extrême droite font grincer des dents dans la vaste galaxie d’Otium Capital, où l’on retrouve des sociétés comme TheFork (foodtech), Payfit (logiciel RH), Owkin (biotech), Doctrine (legaltech) ou Jimmy (nucléaire).
« Cela ne me met pas super à l’aise », avoue un patron, qui rappelle que les « binationaux, c’est le coeur de nos boîtes ». Une allusion aux propos de Jordan Bardella sur les postes sensibles qui pourraient ne plus être ouverts aux personnes avec deux passeports différents. « On communique sur nos autres investisseurs comme Rodolphe Saadé, mais pas sur Pierre-Edouard Stérin », lâche un autre entrepreneur.

Entre ignorance et indifférence
Des dirigeants contactés préfèrent garder le silence ou botter en touche. « Je découvre ces liens en même temps que tout le monde. J’essaie de rester dans ma zone de compétence, c’est-à-dire le business, et ne pas faire de politique », confie l’un d’entre eux.
D’autres sont plus francs. « Personnellement, je suis sacrément opposé aux idées de Stérin (ou du moins au portrait que les médias en dressent). Mais, malgré ses positions réac, son argent vient financer l’essor de mon secteur en France. »
Dans un contexte électoral aussi explosif, la plupart des PDG de start-up, comme la majorité des grands patrons français, savent qu’il vaut mieux jouer la carte de la prudence. « On a des associés, des investisseurs, des salariés, des clients… On ne peut pas s’exprimer sur la politique ou la religion », souligne un business angel.

Un des rares entrepreneurs à s’être exprimé publiquement sur les idées de Pierre-Edouard Stérin est Alexandre Boucherot, PDG de la plateforme de financement participatif Ulule. Dans un post LinkedIn, il réagit à l’article du « Monde » : « Otium est en effet ‘bien plus qu’un simple holding d’investissement’. C’est un projet funeste et réactionnaire, d’un cynisme extraordinaire, qui pousse un agenda en réalité aux antipodes des aspirations de l’immense majorité des citoyens. » Contacté, Alexandre Boucherot indique que son post était « spontané » et qu’il s’est exprimé « à titre personnel », tout en soulignant une « relative complaisance de l’écosystème [start-up, NDLR] ».

Un vivier de talents
Cette discrétion – à l’exception d’Alexandre Boucherot, tous les dirigeants ont voulu s’exprimer anonymement – tient à la place d’Otium Capital dans la French Tech. Le family office a fait émerger beaucoup de talents depuis quinze ans. Or, ces derniers ont, bien souvent, des intérêts financiers à préserver et du respect pour la carrière d’entrepreneur de Pierre-Edouard Stérin.

C’est au sein d’Otium Capital que Stanislas Niox-Chateau a fait ses armes dans la tech, avant de créer Doctolib en 2013. Les investisseurs Bruno Raillard et Pierre Entremont étaient chez Otium, avant de s’émanciper avec Frst, qui a mis sur orbite la licorne Pigment. En 2022, le fonds d’amorçage Resonance a vu le jour dans l’orbite de Otium Capital, avec des jeunes loups venus de Balderton Capital et XAnge (Maxime Le Dantec et Alban Oudin, qui est parti récemment).
« Il ne faut pas avoir la mémoire courte : Otium était là quand personne ou presque investissait dans les start-up. Et Pierre-Edouard Stérin était connu pour son exil fiscal en Belgique, mais pas trop pour son soutien à la droite dure », glisse un poids lourd de la French Tech. Et d’ajouter, malicieusement: « Ceux qui font aujourd’hui des deals avec eux ne peuvent pas plaider l’ignorance. »

François Durvye assure « comprendre » le malaise exprimé par certains dirigeants, mais relativise. « Sociologiquement, il y a un grand nombre de macronistes dans nos équipes. Nous sommes attachés à cet état d’esprit de liberté. Ce ‘mindset’, c’est même l’une de nos forces depuis notre création », lâche-t-il, en rappelant la collaboration récente d’Otium Capital avec Arnaud Montebourg pour le projet Alfeor .

Cette année, le family office de Pierre-Edouard Stérin prévoit d’investir 300 millions d’euros à travers ses différents véhicules dans des entreprises. « La vocation d’Otium, c’est de générer du TRI [taux de rentabilité interne, NDLR] », commente François Durvye. Quel que soit le parti au pouvoir.

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