Nikos Zorzos n’en a pas l’air, mais il fulmine. Amène et souriant, le maire de Santorin écarte soudain les bras en signe d’impuissance, ce dimanche de juin. « J’ai le sentiment d’être un prisonnier. Je veux changer les choses mais je ne le peux pas », explique le sexagénaire, enfoncé dans un siège de son bureau. Voilà plus de dix ans qu’il alerte en vain contre les dangers du surtourisme en Grèce.

Né et élevé à Santorin, Nikos Zorzos, 64 ans, ne reconnaît plus son île. Autrefois pauvre et coupé du monde, ce petit bout de terre de l’Egée est devenu l’une des plus célèbres destinations touristiques mondiales. Depuis soixante ans, ses falaises abruptes, son décor volcanique et ses couchers de soleil ont attiré des flots ininterrompus de visiteurs. Avec eux est venue la prospérité. Mais, depuis quelques années, la situation est hors de contrôle.

Inaccessible
L’île est « saturée », répète depuis 2012 l’élu à qui veut bien l’entendre. L’an dernier, plus d’un touriste sur dix qui s’est rendu en Grèce a mis le pied sur Santorin, soit 3,4 millions de personnes. La construction effrénée d’hôtels, de résidences à louer et de grands complexes immobiliers de luxe a défiguré le paysage. En été, la densité de population – plus de 1.000 personnes au kilomètre carré – rend difficile l’approvisionnement en eau et en électricité.
Les déchets s’amoncellent. Les embouteillages en heure de pointe sont dignes de ceux d’Athènes. La flambée des prix empêche les travailleurs essentiels (médecins, pompiers, policiers, enseignants) de trouver de quoi se loger. L’île est devenue inaccessible à la très grande majorité des Grecs.
Pour les quelque 22.000 résidents à l’année, la manne du tourisme ne suffit plus à apaiser. « L’île a perdu tout ce qu’elle avait de traditionnel, et chaque année ça empire », se désole Kostas, qui tient depuis dix-huit ans un restaurant traditionnel – l’un des derniers – sur la principale artère de Thira, la capitale de Santorin.

Une « pression suffocante »
Même les croisiéristes évitent désormais l’île qui aurait inspiré le mythe de l’Atlantide à Platon. En avril, l’opérateur du « Sun Princess » a notifié à ses clients que le paquebot ne s’y arrêterait finalement pas cet été, en raison de la congestion du port. Santorin « est un problème », a reconnu début juin le Premier ministre, Kyriakos Mitsotakis, dans une interview à Bloomberg. Elle n’est pas le seul.

Le médiateur de la République hellénique
Les îles grecques et leur carte postale de soleil et de mer, de tavernes et de maisons blanchies à la chaux, font l’objet d’une « pression suffocante », écrit le médiateur de la République hellénique. Dans un rapport de 170 pages publié en juin, l’autorité indépendante tire la sonnette d’alarme et prévient que la Grèce « ne doit pas épuiser son potentiel, le gaspiller et rendre nos destinations touristiques peu attractives au fil du temps ».
Mykonos et Santorin, mais aussi Amorgos, Rhodes, Corfou, Zakynthos, Tinos… le surtourisme et ses problématiques – surconstruction, saturation des aires urbaines, perte d’identité et du patrimoine, dégradation de la qualité de vie des habitants – touchent désormais, de près ou de loin, les plus populaires des îles grecques.

Trois mois par an
Ce constat n’a, à première vue, rien d’évident à Piso Livadi. La saison débute à peine et les touristes parviennent encore à se ménager une place à l’ombre sur la plage de ce petit port de Paros, en plein coeur des Cyclades. L’île compose, avec 33 autres, cet archipel de la mer Egée connu dans le monde entier pour ses maisons blanches aux volets bleus si caractéristiques.
La tranquillité de Piso Livadi est trompeuse. Paros est l’une des îles grecques les plus fréquentées, après Santorin et Mykonos, et pourrait prendre une trajectoire similaire une fois terminé le projet d’extension de l’aéroport. Flambée des prix, bouchons, problèmes d’approvisionnement en eau : l’été, ici aussi, le surtourisme a des conséquences très concrètes.

L’an dernier, Paros a même fait irruption dans l’actualité internationale. Excédés par l’occupation illégale des plages par des restaurateurs et des beach bars, les locaux ont manifesté avec colère pour réclamer leur accès libre et gratuit, comme le garantit la Constitution grecque. Le « mouvement des serviettes », comme l’ont surnommé les médias, s’est ensuite répandu dans toute la Grèce.

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