A disruptif, disruptif et demi. Alors que tout semblait avoir été inventé en matière d’e-commerce avec Amazon, et sur le marché du prêt-à-porter, avec Zara et le hard-discounter irlandais du textile Primark, les sites Internet chinois Shein et Temu changent la donne.

« Quand Primark a ouvert ses magasins en France, ses prix étaient en moyenne 30 % moins chers que ceux de la concurrence. Personne ne pensait faire mieux. Pourtant, Shein vend des articles expédiés depuis la Chine à 5 ou 10 euros », remarque l’expert en marketing du commerce Frank Rosenthal.

Pas d’objectif de rentabilité
En dix-huit mois, la filiale de Pinduoduo, la plateforme qui rivalise en Chine avec Alibaba et JD. com, et le spécialiste du textile né en Chine dont le siège s’est établi à Singapour bousculent les valeurs sûres.
Temu, à partir de rien, a conquis rapidement la cinquième place des sites marchands les plus fréquentés dans l’Hexagone, selon Médiamétrie et NetRatings, avec 17 millions de visiteurs uniques par mois, soit autant que Leclerc et Cdiscount. Shein se classe onzième, juste devant AliExpress, la déclinaison internationale d’Alibaba.

« Ils apportent un modèle différent qui, trente ans après la naissance d’Amazon, permet une fois de plus à l’e-commerce d’échapper à la contrainte de la rentabilité », analyse Frank Rosenthal, qui constate que Shein et Temu se fixent d’abord comme objectif l’acquisition de clients, au détriment de l’équilibre financier, comme la compagnie de Jeff Bezos à ses débuts qui a ensuite assis ses comptes avec les services informatiques AWS.

Avec, selon une étude Bloomberg, des prix inférieurs jusqu’à 70 % à ceux d’Amazon et une offre aussi large, qui se chiffre en millions de références, le généraliste Temu casse le marché. « On peut dire que Shein et Temu donnent accès au consommateur européen au prix coûtant des usines chinoises », poursuit l’expert de chez Frank Rosenthal Conseils (FRC). Une révolution après deux décennies de délocalisation industrielle pendant lesquelles les marques européennes ont vendu à des prix européens des produits fabriqués à des coûts asiatiques, avec une forte marge donc.

« Value for money »
La formule est d’autant plus magique qu’avec un volume gigantesque de colis expédiés, les deux cybermarchands chinois négocient des prix de transport défiant toute concurrence. « Quant aux clients, ils savent et voient que la qualité n’est pas forcément bonne, mais compte tenu des petits prix, le rapport ‘value for money’ est très acceptable », précise Frank Rosenthal.
Reste à savoir si ces modèles sont durables, à tous les sens du terme. En réponse à ceux qui l’accusent d’encourager le gaspillage, Donald Tang, le président exécutif de Shein, a indiqué en juin aux « Echos » que sa plateforme allait vendre en France des vêtements de seconde main. Il explique aussi que son entreprise fait fabriquer à la commande, ce qui limite les invendus. Mardi, le groupe sino-singapourien a annoncé la création d’un fonds de 200 millions d’euros, toujours en France, pour favoriser l’économie circulaire.

Fast fashion
Shein et Temu devront néanmoins passer sous les fourches caudines de la réglementation. En France, un projet de loi anti fast fashion était sur le point d’être discuté avant la dissolution. Nul doute qu’il rallierait la majorité de la nouvelle Assemblée s’il devait ressortir des tiroirs. A Bruxelles, les acteurs classiques du textile militent pour que les petits colis de l’e-commerce ne soient pas exemptés de TVA. La loyauté de la concurrence est un sujet.
Shein a aussi « disrupté » le secteur du prêt-à-porter en offrant 7.500 nouveaux produits tous les jours, selon les estimations des experts. En son temps, Zara avait révolutionné le marché avec une nouvelle collection toutes les trois semaines. La surenchère de Shein a-t-elle un sens pour les consommateurs ? On ne le sait pas encore.
« Ce qui est sûr, c’est qu’Inditex, le propriétaire de Zara, affiche d’excellents résultats financiers, ce qui prouve que son modèle performe », commente le spécialiste de FRC. Celui-ci estime que les deux sites chinois prendront des parts de marché aux acteurs de l’e-commerce en place, plus qu’ils n’élargiront le marché des ventes en ligne. Ce dernier semble avoir atteint son niveau maximal en France, avec 10 % du commerce de détail, 21 % dans le textile, 12 % pour les produits de grande consommation et 28 % pour l’équipement de la maison, selon les chiffres de la Fédération de l’e-commerce (Fevad).

« Toutefois, interpelle Frank Rosenthal, si la société occidentale prône la sobriété pour aider le climat, les consommateurs ne se contenteront pas de l’essentiel. Ils aiment la mode et le changement. Il ne faut pas s’y tromper, si Vinted est devenu le deuxième site Internet de vente de vêtements, c’est aussi parce que la revente permet de gonfler son pouvoir d’achat de produits neufs… »

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