Avant d’être un actif connu de tous, la cryptomonnaie était l’apanage des libertariens et autres militants contre l’hégémonie financière classique. Pour cause, ces monnaies virtuelles sont dispensées de la plupart les règles habituelles régissant les marchés et les devises. Ultra-liquides, anonymes, disponibles sur des plateformes spécialisées non institutionnelles, les cryptoactifs semblent être une solution idéale pour se soustraire aux inquiétudes sur l’univers financier. De plus en plus démocratisées, les cryptomonnaies auraient le double avantage de devenir plus régulées tout en restant éloignées des risques systémiques.
« Les actifs refuges sont ceux vers lesquels on se dirige dans des mouvements de « flight to quality » », analyse Louis Alexandre de Froissard, directeur de Montaigne Conseil & Patrimoine. « Il s’agit de l’or, du dollar, des bons du trésor américain par exemple », qui répondent à un critère principal : « ils ne perdent pas ou peu de valeur même en cas de grave crise ». A ce titre, l’or est le placement refuge par excellence , ayant montré à de nombreuses reprises sa résistance aux chocs géopolitiques et financiers, en plus de conserver sa liquidité.
Bonne nouvelle pour Bitcoin, il fait partie des actifs les plus liquides, étant échangeable à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, 365 jours par an. Une caractéristique unique dans la finance, où les marchés régulés respectent habituellement des jours et des heures d’ouverture.
Des nombreuses similitudes avec l’or
Outre sa liquidité, une autre caractéristique le rapproche de l’or, « les deux actifs ont tendance à s’apprécier et se déprécier en même temps », souligne le directeur de Montaigne conseil & patrimoine. La corrélation entre les deux actifs est même montée à 57 % en 2023, en période de hausse des deux actifs.
Les similitudes sont nombreuses, au point de valoir au Bitcoin le surnom d’ « or numérique ». « De la même manière que l’on conserve de l’or en physique dans un coffre, sans que personne ne le sache, on peut conserver un bitcoin dans un coffre-fort virtuel », compare Guillaume Eyssette, directeur de la société de conseil en investissement Gefineo. Une solution envisagée par certains épargnants pour diversifier leurs placements vers des actifs en théorie inviolables une fois placés sur des clés de sécurité. « S’il est possible de placer des cryptos sur un compte titre sous forme d’ETF, il ne faut pas oublier que cela annule la capacité de la crypto à se soustraire du système financier traditionnel , même si cela peut sembler rassurant », précise-t-il.
Les ressemblances n’annulent pas une différence essentielle : l’or est une valeur refuge de par sa constance à conserver de la valeur sur des millénaires, là où les cryptos ne bénéficient que « d’une décennie de recul ». En période de crise, le métal précieux a la capacité de prendre de la valeur.
Or si Bitcoin semble suivre des mouvements parfois erratiques et décorrélés des marchés, il n’est pas entièrement contracyclique. Avec de la chance, il suit parfois l’enthousiasme des marchés. Mais il est aussi de nature à amplifier les crises. « On a pu observer de fortes baisses de valeur sur les cryptoactifs dans les mêmes temporalités que le Nasdaq », rappelle Guillaume Eyssette pour exemple.
Mara Dobrescu, Responsable de la recherche sur les fonds obligataires pour Morningstar, abonde : « Si le prix du bitcoin a pu résister dans certaines périodes où les marchés actions étaient en baisse, il ne faut surtout pas en conclure que le bitcoin peut constituer une valeur refuge dans un portefeuille ».
Le plus gros frein à cette qualification d’actif refuge reste sa forte volatilité, cinq fois plus importante que le marché action, déjà considéré comme un investissement plutôt risqué comparativement aux obligations, à l’or ou au monétaire. « Si le bitcoin a parfois affiché des performances insolentes, il y a aussi eu des périodes de chute vertigineuse comme en 2022. (De novembre 2021 à décembre 2022 le prix du bitcoin a baissé de près de 73 %) », tient à rappeler Mara Dobrescu.
Un pari risqué
Même la démocratisation de l’actif ne semble pas jouer en sa faveur. « Le prix du bitcoin commence à être de plus en plus synchronisé avec la hausse et la baisse des marchés actions : si cette tendance se confirme, cela veut dire que son potentiel de « diversificateur » sera réduit », prévient Morningstar.
Autre élément d’inquiétude, celui d’une bulle spéculative. « Le Bitcoin ne possède pas de sous-jacent. L’évaluation de son prix est très complexe. Or avec l’arrivée des investisseurs institutionnels, d’abord actifs sur les marchés classiques, les conséquences de l’explosion d’une bulle, non anticipée, pourraient dépasser la seule sphère des crypto-actifs, et avoir, par effet de contagion, des répercussions sur les acteurs de la finance traditionnelle », alarme Benoist Lombard, président de la Maison Laplace. Selon lui, l’adoption du Bitcoin serait un frein à la protection, illusoire, d’un actif hors de la finance traditionnelle.
D’autres calculent, à l’inverse, que la « valeur sous-jacente de la crypto est son usage », comme Guillaume Burtschell, directeur associé chez Finegan. Si la qualité de « monnaie », lui semble plus un argument « marketing » qu’un réel usage, il maintient que de la même manière que l’or, la cryptomonnaie a un prix lié à la confiance des investisseurs dans sa capacité à conserver sa valeur même en cas de dépréciation des monnaies fiduciaires. « Cela n’enlève pas le risque », précise-t-il. Le caractère d’actif « refuge » pourrait alors avoir un autre sens. « Il s’agit plutôt d’un idéal libertarien, de se soustraire d’un système financier ».
Il s’agit aussi d’un pari sur un avenir, si l’on considère que les échanges se feront de plus en plus sur la blockchain. « Il est compliqué de considérer que les cryptos sont des valeurs refuges à court terme. Mais l’on peut les considérer comme des réserves de valeur sur le long terme », précise Louis Alexandre de Froissard. Etant donné la difficulté pour estimer la valeur de ces actifs , il conseille d’investir de façon programmée, par petites sommes régulières « pour lisser le prix d’entrée ». Mara Dobrescu recommande de « résister à la tentation de chercher le moment « propice » pour investir et désinvestir. Si on souhaite absolument en avoir un peu en portefeuille, le point d’entrée importe finalement moins – ce qui importe davantage c’est d’être prêt à garder la position sur un horizon d’au moins 10 ans ».
Outre ces recommandations, il faut se montrer particulièrement prudent dans le maniement des cryptos et bien choisir son intermédiaire . Enfin, n’oublions pas que dans le secteur, les scandales et arnaques ne se comptent plus. Les transactions illicites sur les cryptos (fraudes, blanchiment, contournement des sanctions internationales, arnaques…), ont atteint 24,2 milliards de dollars en 2023.
Lire l’article complet sur : www.lesechos.fr
Leave A Comment