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Environnement : les savoirs autochtones face au défi climatique

« Il y a deux décennies, il était impossible qu'un machi (chaman, NDLR) puisse venir ici parler avec vous et partager sa sagesse avec les Blancs. » Sur la plage du Larvotto, à Monaco, la présence de Jorge Quilaqueo détonne dans le paysage. Venue tout droit du Chili, cette figure spirituelle Mapuche inaugure la discussion par une cérémonie traditionnelle. Ses murmures se perdent un peu sous le ronflement des voitures. Tout entier tourné vers la mer, plumes et grelots à la main, le chaman remercie le grand Esprit, les quatre grands esprits qui viennent des quatre coins de la terre et l'Univers cosmique. « Nous n'avons aucun scénario qui nous propose un monde auquel on aspire », observe Olivier Wenden, vice-président et administrateur délégué de la Fondation Prince Albert II de Monaco, en ouvrant la deuxième édition du Green Shift Festival le 5 juin dernier. Pendant trois jours, artistes, intellectuels et militants se sont réunis dans l'objectif de faire émerger de nouveaux imaginaires écologiques. « Nous devons réfléchir avec le coeur plutôt qu'avec le cerveau, poursuit Olivier Wenden. Chaque occasion de faire parler les peuples indigènes est un pas de plus vers un changement de paradigme. » Un lien très fort avec la nature « Si je suis ici, c'est pour apporter plus de bien-être et c'est aussi à cause du changement climatique que nous vivons. » Jorge Quilaqueo vient de la communauté Mapuche, originaire du Chili et de l'Argentine, qui représente près de deux millions de personnes. Les Mapuches entretiennent avec la nature une relation animiste : « Notre peuple est un peuple très spirituel », affirme celui qui, en tant que machi, a pour rôle d'organiser les cérémonies auprès de son peuple. LIRE AUSSI : Biopiraterie : accord à l'ONU pour un traité « historique » Nemonte Nenquimo, l'Amazonienne qui lutte pour protéger ses terres Car Jorge Quilaqueo possède une connexion très forte avec l'eau. Un don qu'il a hérité de ses ancêtres, des femmes médecins. « Je suis capable de parler avec l'eau et l'eau me répond. Dans ma communauté, quand on a besoin de la pluie, on fait appel à moi. Nous faisons partie des peuples encore capables d'appeler l'eau et de faire tomber la pluie. » Selon l'Onu, ces peuples premiers qui ne représentent que 5 % à 6 % de la population mondiale préservent 80 % de la biodiversité de la planète. « Ce qui caractérise la vision du monde des peuples autochtones, c'est d'abord qu'ils établissent un lien de parenté avec le vivant », insiste Hélène Collongues, anthropologue spécialiste des communautés indigènes de la vallée de l'Alto Mayo au Pérou. Dans ces communautés, les femmes parlent des plantes qu'elles cultivent comme de leurs enfants et les hommes considèrent le gibier comme leurs beaux-frères. Ce lien de parenté s'accompagne nécessairement d'une connaissance et d'une conscience de la fragilité du vivant. « Notre péché capital, c'est la démesure, c'est l'avidité, c'est l'excès », affirme l'anthropologue. The Green Shif Festival à Monaco du 5 au 7 juin 2024 Philippe Fitte La motivation doit venir du coeur « Les peuples racines ont maintenu cette connexion sensible au monde, mais cela ne leur est pas spécifique. C'est quelque chose d'universel, de profondément humain. C'est notre propre nature. » Sabah Rahmani est journaliste et anthropologue. Elle travaille sur la question des « peuples racines » depuis une vingtaine d'années. A ses yeux, notre système matérialiste nous a déconnectés de notre rapport au sensible : « Aujourd'hui, il y a vraiment une urgence universelle à nous rallier au vivant, au-delà du simple temps de loisirs. Il ne s'agit pas d'une idéologie, mais de notre nature qui nous concerne tous, au-delà de toutes les différences culturelles, économiques, politiques, sociales. » Ses propres échanges avec ces communautés lui ont personnellement permis de renouer avec « ce sentiment universel d'union avec le vivant et la fraternité ». « Malgré toute l'histoire violente que ces peuples autochtones ont vécue, il n'y a pas de rancoeur », observe-t-elle. Un constat partagé par Hélène Collongues. En 1994, cette dernière rencontrait Albertina Nanchijam Tuwits, une dirigeante Awajun du Pérou, avec laquelle elle tisse une forte amitié. Témoin très jeune de la violence coloniale envers les femmes, cette grande oratrice vit tous les bouleversements qui ont frappé les peuples autochtones. Confiée à une famille de colons, elle est réduite en esclavage mais en tire un apprentissage de l'espagnol qui lui permettra de passer d'un monde à l'autre. « Elle était comme un pont entre les deux rives d'un fleuve, raconte l'anthropologue. Celui lui a permis d'apporter des changements jusqu'à l'intérieur de sa communauté. » Albertina a notamment fait partie des autochtones à avoir protesté face à un décret du gouvernement péruvien qui consistait à mettre en vente des terres indigènes amazoniennes il y a une dizaine d'années. Hélène Collongues a tenu à immortaliser son histoire à travers son livre « Uyaïnim, Mémoires d'une femme Jivaro » paru en 2022 aux éditions Actes Sud. « La route a transformé notre territoire. Avec la fabrique de ciment, tout a pris la couleur de la cendre et tout ce qui était immense est devenu misérable », se remémore l'autochtone à travers les quelques pages que lit Hélène Collongues au son d'un handpan. « Albertina était sur le chemin de la résistance, mais une résistante dépourvue de haine et d'esprit de revanche. » « Nous avons besoin de nous relier les uns aux autres. Soit on choisit l'amour et la vie, soit on choisit la destruction et l'obscur », affirme Sabah Rahmani. A ses yeux, ce changement ne peut se faire sans joie et sans intention : « Si cette motivation ne vient pas du coeur, on ne peut pas changer. Les peuples autochtones nous disent que toute vie est énergie. Or, l'amour est l'énergie la plus puissante. » Jorge Quilaqueo confirme : « Ma grand-mère m'a enseigné que chaque acte est important. Chaque acte, bon ou mauvais, finit par nous revenir et a des conséquences sur les futures générations. » Raisonner avec son coeur plus qu'avec sa raison, agir dans la joie et la simplicité, tels sont les maîtres mots sur lesquels insiste le machi. Selon l'Onu, les peuples autochtones qui ne représentent que 5 % à 6 % de la population mondiale préservent 80 % de la biodiversité de la planète. Philippe Fitte La nature est pleine de réciprocité Depuis plusieurs années, Sabah Rahmani observe un regain d'intérêt pour les peuples autochtones, le défi climatique incitant la population occidentale à renouer avec ses propres racines. Mais cette attention croissante s'accompagne parfois d'une folklorisation de ces communautés. « On les attend beaucoup là où elles ne sont pas, témoigne Hélène Collongues. Il y a parfois une obsession de l'authenticité qui nous sert finalement à vérifier que nos stéréotypes sont bien là. Certaines personnes sont effarées en découvrant que les chamans peuvent regarder la télévision et porter des jeans. » Or, rappelle-t-elle, les sociétés sont dynamiques et les peuples autochtones vivent à la même époque que la nôtre : « Là où il faut les attendre, c'est sur leur relation avec le vivant. Car contrairement à nous, ils ne sont pas dans le mépris du vivant. » Jorge Quilaqueo rappelle de son côté : « Nous-mêmes, les êtres humains, sommes composés par ces quatre éléments que sont l'eau, la terre, le feu et l'air. Quand l'un de ces éléments est en déséquilibre à l'intérieur de notre corps, il provoque des maladies dans notre organisme. C'est pourquoi nous collectons des plantes médicinales dans nos forêts. Nous devons absolument les préserver, car c'est là que se trouve notre médecine. » Parmi les clés essentielles de transition, il insiste sur le sens de nos actes au quotidien : « Quand on boit de l'eau pure, notre pensée devient pure. Quand notre corps reçoit de l'eau contaminée, nos pensées se contaminent. La nature est pleine de réciprocité. » Alors que notre société a tendance à dresser des hiérarchies à l'intérieur du monde vivant, le chaman rappelle que rien sur terre ne nous appartient : « La seule chose avec laquelle nous allons quitter ce monde, ce sont nos actes. » Persuadé que la lutte doit se faire dans la joie, Jorge Quilaqueo appelle à l'union entre tous : « A mes yeux, les êtres humains sont tous frères et soeurs. Nos différences ne sont que des illusions. Nous sommes tous des êtres de la terre. Nous avons tous une mission sur terre et il faut la trouver. » Une union que le machi a tenu à symboliser à travers un dernier rituel. A la tombée du jour, Jorge Quilaqueo verse dans la mer Méditerranée un mélange bien particulier composé d'eaux de sources, rivières et océans du monde entier. « Elles vont désormais parcourir un long chemin », observe-t-il. Les pieds enfoncés dans la plage monégasque, le chaman vient de sceller une alliance entre les eaux et les peuples. Charlotte Meyer

By |2024-07-02T10:43:36+00:00July 2nd, 2024|Scoop.it|0 Comments

Symbole écologique, le train des primeurs Perpignan-Rungis menacé d’arrêt définitif

Le « train des primeurs » risque à nouveau de rester définitivement à quai. Ce convoi spécialisé, qui transporte des fruits et légumes avec des wagons réfrigérés entre Perpignan-Saint-Charles et le marché de Rungis cinq fois par semaine, s'arrêtera de fonctionner dès ce vendredi, le dernier du mois de juin. Comme de coutume, puisqu'il s'agit d'un service saisonnier, qui reprend d'ordinaire en octobre. Sauf que cette fois, l'arrêt risque d'être définitif, faute de garanties sur l'avenir. Au grand dam des défenseurs du fret ferroviaire, qui dénoncent une aberration écologique. Symbole du fret ferroviaire Cette ligne, symbole de la décarbonation des transports longue distance (elle évite de mettre 9.000 camions par an sur les autoroutes françaises selon la SNCF, et même plus de 20.000 d'après la CGT) est hautement menacée : elle fait partie des 23 « flux » (soit 30 % de son trafic total) que Fret SNCF doit abandonner et céder à la concurrence , dans le cadre du « plan de discontinuité » imposé par Bruxelles au groupe français, au terme d'une longue enquête sur des aides publiques excessives. A ce jour, 22 de ces services réguliers de marchandises ont été stoppés, la seule dérogation agréée par Bruxelles portant sur un train de produits sidérurgiques. LIRE AUSSI : Cinq questions sur le train des primeurs La SNCF a joué les prolongations La SNCF avait même joué les prolongations jusqu'à présent, car le Perpignan-Rungis devait logiquement changer d'opérateur au 1er janvier dernier, mais aucune autre compagnie n'avait répondu à « l'appel à manifestation d'intérêt » du ministère des transports. Autre problème à l'horizon, des travaux prévus sur le terminal de Rungis par son exploitant Semmaris, qui pourraient durer un an et demi, retardant de beaucoup une éventuelle reprise. Les pouvoirs publics espèrent néanmoins trouver l'oiseau rare, après l'inauguration de la nouvelle plateforme francilienne. Le ministère a ainsi publié à la mi-mai un nouvel appel à manifestation d'intérêt « à compter du service ferroviaire annuel 2026 ». En laissant la porte ouverte à « un accompagnement nécessaire par la puissance publique », en clair une nouvelle subvention annuelle. Consultation qui sera close dès le 19 juillet prochain, selon nos informations. LIRE AUSSI : Ces 23 lignes stratégiques que Fret SNCF va devoir sacrifier Fret SNCF : le train des primeurs obtient un sursis Sans baisser les bras, le ministre des transports Patrice Vergriete s'était dit volontariste, quelques jours avant. « Des travaux vont être réalisés à Rungis pour augmenter et moderniser les capacités du fret ferroviaire combiné. Le train des primeurs reste plus que jamais une priorité et l'Etat va relancer un AMI pour garantir la relance d'un service ferroviaire », avait-il assuré en avril. Des engagements laissés à son probable successeur. Un arrêt de deux ans en 2019 Un épisode de plus dans l'histoire en accordéon de ce train spécialisé. Ce convoi de nuit, chargé de fruits et légumes majoritairement importés du Maroc par camions jusqu'à Perpignan, avait subi un premier arrêt entre 2019 et 2020, avant d'être relancé en octobre 2021 par le gouvernement Castex… jusqu'au plan de discontinuité bruxellois. A l'époque, l'ex-premier ministre et ex-élu local catalan, espérait étendre ce service sur un axe ferroviaire européen plus large, de Barcelone à Anvers. Puis il n'a pas roulé pendant deux mois en 2023, lors des manifestations syndicales contre la réforme des retraites. LIRE AUSSI : Fret : 2023, l'année noire pour le transport combiné L'Etat acculé à un nouveau plan de survie pour Fret SNCF Une chose est sûre, un éventuel repreneur ne prendra pas les antiques wagons de Fret SNCF, modernisés et repeints pour la relance de 2021. « Les wagons ne sont pas au niveau, coûtent cher en entretien, et en exploitation. L'avenir de la ligne serait plus pertinent en mode transport combiné », avance-t-on chez Rail Logistics Europe, la maison mère de Fret SNCF. L'autre problème récurrent de la ligne est le retour à vide des trains. Des contacts avec des enseignes de bricolage, pour charger le convoi dans le sens nord-sud, n'ont rien donné. « Le taux de remplissage du train des primeurs est variable, et la question du retour n'a pas été réglée », indique Jean-Luc Gibelin, le vice-président de la région Occitanie en charge des mobilités. « Nous continuons à travailler d'arrache-pied au développement du terminal Saint-Charles », ajoute-t-il, en l'occurrence pour du transport combiné, consistant diriger des semi-remorques vers des trains spéciaux.

By |2024-07-02T10:41:28+00:00July 2nd, 2024|Scoop.it|0 Comments