C’est un jugement qui fera date dans l’histoire de l’antitrust américain. Après deux décennies où tout semblait permis aux géants du Net, un tribunal fédéral de Washington a infligé lundi un sérieux revers à Alphabet , la maison mère de Google. Un verdict qui en annonce peut-être d’autres dans le secteur, tant les mastodontes de l’ère numérique sont désormais dans le collimateur, d’Apple à Meta en passant par Nvidia.
Selon le juge Amit Mehta, Google a fait barrage à ses concurrents de façon déloyale dans le monde des smartphones, afin de s’y tailler la première place en tant que moteur de recherche. En effet, en 2021, Google a payé 26 milliards de dollars à des éditeurs de logiciels de navigation, des opérateurs télécoms et des fabricants comme Samsung ou Apple pour installer son logiciel par défaut sur les appareils mobiles.
En échange de ces deals appelés « partage de revenus » (les revenus publicitaires de Google en 2021 s’élevaient à 146 milliards de dollars), Google a pu non seulement être installé par défaut sur les smartphones, mais en plus être assuré de l’exclusivité : aucun autre moteur de recherche généraliste ne pouvait être livré embarqué dans un appareil neuf.
L’annonce a fait chuter plus avant le titre Alphabet, qui a terminé en baisse de 4,35 % au Nasdaq lundi, mais aussi celui d’Apple, qui va devoir se passer de recettes plantureuses. Ce dernier a plongé de 6,24 % sur un marché déjà secoué par la déflagration boursière mondiale survenue le même jour.
« Google est un monopole »
« Les accords de distribution de Google ont capté une portion substantielle du marché des services généraux de recherche et ont réduit les opportunités concurrentielles de ses rivaux », écrit Amin Mehta dans le jugement de près de 300 pages qui clôt un procès-fleuve, ouvert en septembre 2023. « Google est un monopole, et a agi en monopole », assène-t-il également.
La part de marché de Google dans la recherche Internet, qui était de 80 % aux Etats-Unis en 2009, « n’a fait que croître » depuis, souligne le juge, à 90 % en 2020, et presque 95 % sur les smartphones. Certes, la société à « embauché des milliers d’ingénieurs hautement qualifiés, innové constamment, et pris des décisions stratégiques pertinentes », et dispose donc d’un outil excellent.
Mais il s’est aussi servi d’un atout invisible, la distribution par défaut, pour accumuler des tonnes de données sur les utilisateurs de smartphone, qui en retour lui ont permis d’améliorer son logiciel. C’est un tel avantage compétitif, que Google conserve pendant dix-huit mois l’historique des recherches et de l’activité en ligne des internautes, souligne le juge. Cela lui permet de vendre plus d’espaces aux annonceurs. En comparaison, en 2022, le principal concurrent de Google dans la recherche, Bing, a réalisé moins de 12 milliards de revenus publicitaires.
Une victoire pour le département de la Justice
Ce jugement est une belle victoire pour le département américain de la Justice, qui avait porté plainte. Elle témoigne de la volonté de l’administration Biden de sévir contre les géants du Net – même si le procès a initialement été intenté sous Donald Trump, en 2020. La dernière fois qu’un titan de la tech a perdu un procès d’envergure contre le gouvernement américain, c’était Microsoft, en 2001, pour avoir abusé de sa position dominante avec le logiciel Windows.
Dans un communiqué, Google indique qu’il fera appel de cette décision. Dans tous les cas, des remèdes vont devoir être trouvés pour mettre fin à cet abus de position dominante. Google pourrait par exemple être contraint de revendre son système d’exploitation pour smartphones Android, ce qui reviendrait à démanteler le groupe. Il pourrait aussi être forcé de partager les données récoltées auprès des utilisateurs avec ses concurrents afin qu’ils puissent eux aussi améliorer leur moteur de recherche.
Google a d’autres affaires judiciaires pendantes aux Etats-Unis. Le géant est attaqué par l’éditeur du jeu Fortnite, Epic Games, parce qu’il prélève une rente de 30 % sur les téléchargements d’applications via son magasin en ligne. Puis en janvier 2023, le gouvernement fédéral et huit Etats américains ont lancé des poursuites contre Alphabet pour abus de position dominante dans les technologies d’achat et de vente de publicité (adtech), réclamant la scission du groupe.
Meta joue gros
Par ailleurs, d’autres éminences de la Big Tech font l’objet d’enquêtes ou de poursuites fédérales pouvant mener, en dernière extrémité, à un démantèlement. Ainsi, Meta joue gros avec la Federal Trade Commission, qui a porté plainte en décembre 2020, considérant que le rachat de WhatsApp (19 milliards de dollars) et d’Instagram pourrait avoir été un moyen d’étouffer la concurrence.
Dernièrement, ce sont les investissements considérables dans l’intelligence artificielle qui suscitent l’intérêt des régulateurs. La Federal Trade Commission enquête sur les pratiques de Microsoft et d’OpenAI, et le département de la Justice, sur Nvidia.
Les « sept magnifiques », des sociétés de la Silicon Valley qui pèsent des milliers de milliards de dollars après vingt ans d’expansion rapide, ont peut-être mangé leur pain blanc. En cette période électorale aux Etats-Unis, elles ne peuvent compter ni sur les démocrates, ni sur les républicains, pour faire rempart contre l’antitrust. Ce sont les nouveaux Rockefeller. Or on sait comment l’histoire s’est terminée pour ces grands monopolistes américains.
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