A neuf heures du matin ce samedi d’avril au port de Miami, les coups de sifflet et les embouteillages rappellent brutalement que la parenthèse enchantée des vacances est finie. Après une semaine à naviguer dans les Caraïbes, les passagers de l’Icon of the Seas récupèrent leurs objets interdits – fers à repasser et sèche-cheveux XXL – et patientent sur le trottoir encombré de bagages avant de partir retrouver leur quotidien. Il faut faire vite : dans une heure, en haut du grand escalator, le navire commencera à embarquer sa nouvelle cargaison de passagers : jusqu’à 7.600 clients et 2.350 membres d’équipage.
Avec ses 365 mètres de long et ses 16 ponts, le paquebot construit en Finlande et lancé en janvier s’affiche comme le plus grand paquebot du monde. D’une poignée de mètres seulement sur son prédécesseur, mais peu importe : naviguer sur l’Icon of the Seas, c’est « s’acheter le droit de frimer », a promis son concepteur Royal Caribbean. Avec 80 % de clients nord-américains, le produit est fait pour qui aime la performance et le grand spectacle, le miroir d’une Amérique hédoniste et consumériste.
Cauchemar ou expérience unique
Du parc aquatique à la vague de surf en passant par le mur d’escalade ou la piste de footing (il faut 7 tours et demi pour boucler un 5 kilomètres) ; des salles de spectacle dignes de Broadway à la promenade plantée bordée de commerces (pompeusement appelée « Central Park ») en passant par le calme luxueux du spa aux salles tamisées des restaurants sur réservation : il faut créer l’effet « waouh », refléter l’abondance tout en parlant à chacun.
« L’Icon of the Seas est une combinaison inédite de vacances où chaque membre de la famille peut profiter de sa propre version des vacances, sans compromis », résume Jay Schneider, directeur de l’innovation produit au sein de Royal Caribbean International . C’est le bateau qui est le voyage, davantage que la destination.
Pour beaucoup de non-initiés, se retrouver avec des milliers de congénères dans une gigantesque barre d’immeubles flottante serait le pire cauchemar des vacances. Un journaliste-écrivain prêt à louer sa plume au journal le plus offrant (The Atlantic) a fait la croisière inaugurale. « Dites-moi juste quel degré de satire vous voulez », avait-il demandé. La facture a été salée (19.000 dollars pour une suite réservée au dernier moment) et le récit a été acide.
Mais pour beaucoup de consommateurs en quête d’expériences, la croisière est devenue une case à cocher sur le bingo des vacances. L’image des milliers de touristes piégés par le coronavirus sur leur hôtel flottant au large des côtes de Floride ou du Japon au printemps 2020 s’est ainsi déjà effacée, pour laisser la place à une industrie plus florissante que jamais, aux Etats-Unis au moins.
« Les croisières sont de nouveau en vogue dans la culture populaire. Elles ont été réinventées après plus de deux ans de Covid. Là où elles avaient perdu de leur éclat, l’attrait est de retour et, quel que soit le prix, elles sont valorisées », pointait Morgan Stanley en février, à partir de son étude qualitative – le « cruise chat » – auprès des agents de voyages américains. « La taille de nos navires n’est rentable que si nous pouvons attirer la demande de nos clients à un niveau de prix plus élevé, ce que l’Icon nous a permis de faire », explique Jay Schneider.
T-shirts customisés pour toute la famille
Avec l’Icon of the Seas et ses couleurs instagrammables, le croisiériste acte même un changement générationnel. « Plus d’un passager sur deux est un Millénial (né dans les années 1980 et début des années 1990, NDLR) ou plus jeune », indiquait le PDG Jason Liberty fin juillet, lors des derniers résultats trimestriels. Et de fait, les passagers qui débarquent et embarquent ce samedi d’escale sont loin de l’image de croisiéristes uniquement retraités. En famille ou en bande, avec leurs t-shirts identiques pour célébrer « les 15 ans » d’une jeune fille ou « le 18e anniversaire » de leur première croisière, ils ressemblent en réalité à une Amérique diverse et métissée.
Oreilles percées et tatouage à l’ouverture de son polo, Kyle a le look branché du travailleur social (qu’il est, à Chicago) et vient de terminer sa semaine à bord du paquebot. Il a « beaucoup aimé ». « On était neuf de la même famille à se retrouver pour la semaine, on avait réservé il y a plus de deux ans et en partageant ma cabine j’ai payé 900 dollars, plus 200 dollars à bord pour des verres ».
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