La reconstruction de l’économie du Caillou, durement frappée par les émeutes de mai, n’a pas commencé. Les entreprises ne tournent pas, un tiers des salariés est au chômage, les finances locales sont exsangues. Les acteurs économiques craignent désormais des émeutes de la faim avant la fin de l’année.

Publié le 21 août 2024 à 12:38Mis à jour le 22 août 2024 à 11:29

Garder espoir. Eric Vlaeminck estime qu’il n’a pas vraiment le choix. « Si on se couche avec la boule au ventre, on ne tiendra pas… », souffle depuis Nouméa ce patron d’une entreprise spécialisée en isolation thermique. Sous-traitant des usines métallurgiques de la Nouvelle-Calédonie, la société souffrait déjà de la crise du nickel lorsque les émeutes de mai dernier ont violemment précipité la chute de son activité.
Trois mois plus tard, il craint la liquidation pure et simple. « Il me reste 26 salariés, contre 85 équivalents temps plein l’an dernier, dit-il. J’ai déjà dû me séparer de compétences précieuses. Mais aujourd’hui les rentrées financières ne suffisent plus à couvrir les amortissements et les frais fixes. »

Aides financières au compte-goutte
Eric Vlaeminck n’est que l’un des milliers de patrons à envisager le pire sur le Caillou. Certains ont déjà tout perdu. « 1.200 entreprises ont été pillées ou incendiées pendant les émeutes, c’est énorme ! avance Pierrick Chatel, secrétaire général de la CPME Nouvelle-Calédonie. Il y a une immense détresse chez nos adhérents, qui constituent l’essentiel du tissu économique de l’île. Tous les secteurs ont été touchés ! Et beaucoup sont démunis. »
Depuis trois mois, la reconstruction de la Nouvelle-Calédonie n’a pas commencé. L’ordre et la sécurité n’ont toujours pas été totalement rétablis. De nouveaux affrontements ont encore fait un mort le 15 août, portant à 11 le nombre de victimes depuis mai. « Il n’y a plus de transports en commun, une route reste coupée par des manifestants indépendantistes au niveau de Saint-Louis, bloquant 12.000 personnes chez elles ainsi que l’accès à l’usine métallurgique du sud… L’économie ne peut pas fonctionner dans ces conditions ! », se désole Pierrick Chatel.
Pour les entreprises, les aides financières promises n’arrivent qu’au compte-goutte. « Sur les 17.000 dossiers déposés au titre du fonds de solidarité, plusieurs milliers n’ont toujours pas obtenu de réponse », avance Xavier Benoist, président de la Fédération des industries locale. Selon Bercy, 12.100 ont été traités à ce jour et 23,4 millions d’euros versés. (1) De même, alors que l’Etat a versé fin juillet 100 millions d’euros pour financer le chômage partiel, seuls 40 millions ont été débloqués à ce jour par le gouvernement local, explique de son côté David Guyenne, président de la chambre de commerce et d’industrie (CCI).
Eux-mêmes en difficulté, les assureurs tardent aussi à rembourser les entreprises frappées. « Sur 3.300 sinistres déclarés pour plus d’un milliard d’euros , à peine 1.200 expertises ont été finalisées, qui ont permis de débloquer 120 millions d’euros », indique David Guyenne. Selon le gouvernement calédonien, le montant total des dégâts liés aux exactions de mai atteint 2,2 milliards d’euros.

Emeutes de la faim
Les acteurs économiques locaux estiment que le Caillou a perdu en trois mois entre 20 % et 30 % de son PIB (8 milliards d’euros par an en temps normal). « Aujourd’hui 25.000 salariés sont touchés par le chômage, total ou partiel, ou vont l’être dans les semaines à venir », estime David Guyenne. Soit, plus du tiers des 68.000 personnes employées par le secteur privé sur le Caillou (qui compte 270.000 habitants).

« Je ne connais pas une entreprise du secteur privé qui ne soit pas touchée. Or ici, les indemnités légales liées au chômage partiel, c’est 70 % du salaire minium », témoigne Eric Vlaeminck. Ceux qui le peuvent cherchent déjà à partir. La CCI estime que 6.000 à 10.000 personnes quitteront le territoire cette année.

A Paris, on bombe le torse avec les Jeux Olympiques, et nous ici on crève…

Nicolas Metzdorf Député

Conséquence : la consommation plonge, entraînant avec elle la chute de la TVA. Faute de recettes fiscales, les finances publiques locales sont exsangues. Selon les dernières estimations du gouvernement local, le déficit atteindra 271 millions d’euros (17 % des recettes fiscales), mais certains estiment le chiffre largement sous-évalué. « L’Etat local est ruiné. Il ne peut déjà plus payer l’aide médicale gratuite, bientôt ce sera le cas des salaires et des retraites des fonctionnaires… La situation est désespérée ! », avance Nicolas Metzdorf, député loyaliste (Ensemble pour la République) de Nouvelle-Calédonie.
« On voit aujourd’hui la face émergée de l’iceberg, mais pas ce qui arrive », alerte Eric Vlaeminck. Dans une tribune publiée la semaine dernière dans « Les Echos », la CPME évoque même sa crainte de voir le territoire bientôt confronté à des émeutes de la faim. « Et cela en France, en 2024 », insistent les dirigeants de l’organisation patronale.
Ils ne sont pas les seuls à pronostiquer une telle issue, faute d’intervention rapide de l’Etat. Celui-ci a déjà débloqué 300 millions d’euros d’aides , essentiellement sous forme de prêts. Rappelant que les finances locales étaient déjà en grande difficulté avant les émeutes, Bercy fait valoir que «sans l’appui massif de l’Etat depuis le début de la crise, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie et ses institutions publiques auraient été en défaut de paiement». (1)
Cette somme n’en est pas moins jugée largement insuffisante par les acteurs locaux. « Il faut réinjecter au plus vite entre 2 et 3 milliards d’euros dans l’économie, estime Xavier Benoist. Paris nous dit que le développement économique relève des compétences locales, mais les pertes ont été causées par une défaillance de l’Etat, censé assurer la protection des biens et des personnes sur le territoire ! » 

L’attente du nouveau gouvernement complique encore la donne. Nicolas Metzdorf ne masque pas son amertume : « A Paris, on bombe le torse avec les Jeux Olympiques, et nous ici on crève… »

Lire l’article complet sur : www.lesechos.fr