Il suffit d’un simple couple de pouce. Des petites actions qui « ont pour vocation d’activer et de laisser revenir des dynamiques qui nous dépassent », comme l’écrit Baptiste Morizot dans son ouvrage « Raviver les braises du vivant » (éd. Actes Sud, 2020). Par exemple, détruire des cabanes insalubres pour laisser revenir la nature sur une parcelle. Car il ne faut pas grand-chose au vivant, rappelle le philosophe, pour revenir dans un lieu d’où il a été chassé.

Une doctrine que semble avoir adoptée le Conservatoire du littoral. La vénérable institution, fondée en 1975, a pour mission de protéger les zones côtières françaises en rachetant notamment des parcelles afin d’éviter leur artificialisation, voire en détruisant les constructions existantes afin de les « renaturer ». Et depuis une dizaine d’années, grâce à une nouvelle politique et l’aide des collectivités, le mouvement s’accélère. « Nous nous sommes aperçus que nous n’étions pas assez nombreux pour mener nous-mêmes les travaux, indique ainsi Murielle Ribot, déléguée adjointe du Conservatoire du littoral Languedoc-Roussillon. Nous avons alors décidé de passer des conventions avec les collectivités, qui sont nos gestionnaires, pour leur déléguer la maîtrise d’ouvrage pour des opérations précises. »
C’est ainsi que l’établissement public a signé en 2023 une telle convention avec la communauté d’agglomération Sète Agglopôle Méditerranée, dont le territoire comporte 12.000 hectares de zones naturelles, littoral, marais, lacs, lagunes ou autres morceaux de garrigue, dont 2.500 hectares environ sont la propriété du Conservatoire du littoral. Cette étendue est, comme souvent dans le Midi de la France, rongée par le phénomène de cabanisation : « Sur de nombreuses petites parcelles que des personnes avaient achetées pour y mettre une caravane et y venir le week-end, des bâtiments en dur ont fini par être illégalement construits, explique Murielle Ribot. Ils sont souvent insalubres et attirent des squatteurs, ce qui peut générer des problèmes de désordres sanitaires, de santé publique ou de risques d’incendie. » Sans compter que le piétinement et les passages fréquents empêchent également la faune et la flore de réoccuper totalement ces parcelles semi-abandonnées.

Rachat des terrains à l’amiable ou par préemption
La collectivité territoriale et l’établissement public ont donc choisi d’agir ensemble. Jusqu’à présent, et quoique dans un esprit de concertation, les deux acteurs menaient des opérations chacun de son côté. Ainsi, de 2017 à 2019, le Conservatoire du littoral avait procédé à la déconstruction de l’ensemble des colonies de vacances historiquement installées non loin de la plage des Aresquiers, tandis que Sète Agglopôle Méditerranée avait, en 2019, mené à bien la démolition et la renaturation du hameau bâti des Salins à Frontignan, ainsi que la déconstruction de l’ancien camping du bois des Aresquiers. « Mais la convention nous a permis d’élaborer une stratégie claire, un plan d’action défini sur cinq ans et de réunir tous les acteurs pour savoir où l’on doit intervenir », se réjouit Loïc Linares, vice-président de la collectivité.
Tout d’abord, dans le cadre de cette convention, le Conservatoire du littoral et la communauté d’agglomération repèrent des parcelles sur lesquelles ont été illégalement bâtis des cabanons ou autres constructions sans intérêt patrimonial ou architectural. Charge ensuite au conservatoire de contacter les propriétaires afin de les convaincre de leur vendre leur bien – chose relativement aisée en général tant ces bâtiments sont insalubres, coupés des réseaux d’eau et d’électricité.
Mais en cas d’échec des négociations à l’amiable, l’établissement public dispose d’une arme autrement redoutable : un droit de préemption, supérieur même à celui dont disposent les communes. De quoi convaincre les propriétaires réticents, qui n’ont pas d’autres choix que de garder le bien s’ils refusent de le vendre au Conservatoire du littoral. Le pouvoir de l’établissement public peut même aller jusqu’à l’expropriation, « mais nous ne l’avons jamais utilisé car c’est une procédure très lourde et les propriétaires de ces parcelles sont souvent des personnes relativement précaires », assure Murielle Ribot. A titre d’exemple, sur les 36 acquisitions réalisées par le Conservatoire du littoral Languedoc-Roussillon l’an dernier, 25 ont été conclues à l’amiable et 11 en préemption.

Des avantages écologiques et paysagers
Une fois propriétaire de ces parcelles bâties, le Conservatoire du littoral mène des diagnostics pour déceler d’éventuels polluants, comme le plomb ou l’amiante. Des études environnementales sont également effectuées pour repérer si des espèces animales, oiseaux ou autres chauves-souris, n’ont pas établi leur nid dans le bâtiment. « Nous pouvons ensuite mener les travaux à des moments où ces espèces sont absentes », explique Murielle Ribot.

Une fois ces analyses faites, la communauté d’agglomération a tous les éléments en mains pour passer les marchés auprès des entreprises spécialisées et des travaux de déconstruction classiques sont ensuite menés. Enfin, une fois la bâtisse rasée, le sol est griffé afin de le décompacter pour laisser la place aux végétaux et leur permettre de pousser. Un petit coup de pouce, aux conséquences très vite perceptibles.

« En moins d’un an, la parcelle a cicatrisé et il est quasiment impossible de deviner qu’il y a eu un bâtiment sur le site », affirme la déléguée du Conservatoire du littoral. Cette renaturation présente certes un avantage paysager, mais elle a également plusieurs impacts environnementaux. Elle sert à la régulation climatique, à la prévention des inondations et joue le rôle d’épurateur naturel, en préservant la qualité des sols et de l’air. Sans compter la lutte contre l’érosion du littoral.

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