Les grands concepts impliquent aussi des actions très concrètes. Au sud de Paris, sur l’immense plateau de Saclay, l’établissement public chargé d’aménager un territoire qui abrite beaucoup de matière grise comme de terres fertiles, va tester le traitement des urines de 20.000 personnes – habitants et usagers – pour en faire de l’engrais agricole. C’est là, explique l’ EPA Paris-Saclay , la première marche d’une ambition de taille : « faire la ville post-carbone ».
L’expérimentation aura lieu dans le futur quartier de Corbeville, à Orsay, dans l’Essonne : un réseau de collecte des urines séparé et une unité de traitement (un système à trois bacs d’hygiénisation et un passage sur charbon actif) vont être construits. Le dispositif peut récupérer 10.000 mètres cubes de liquide par an et les transformer en produit près à l’emploi pour les champs, « une innovation encore inédite à l’échelle internationale », assure Paris-Saclay.
A l’origine du projet, il y a « la bonne rencontre, qui nous a décidés à nous lancer », raconte Martin Guespereau, à la tête de l’EPA depuis un an . Celle d’un agriculteur, voisin direct au nord du site, qui était intéressé, convaincu que cette forme chimique d’azote et de phosphore est mieux assimilable par la plante que les engrais classiques. Logiquement, il devrait être le premier client à monter dans cette opération. « Et, comme il est sur place, ce sera un circuit ultracourt », souligne Martin Guespereau.
Nombreux défis
Ce passage à l’échelle est intéressant industriellement – pour prouver la faisabilité -, mais surtout économiquement, poursuit-il. Car les eaux usées de ce territoire vont à des dizaines de kilomètres, jusqu’à la station d’épuration de Valenton, dans le Val-de-Marne, qui est aujourd’hui peu ou prou à sa capacité nominale. Les urines étant ce qu’il y a de plus cher à traiter (la dénitrification est très énergivore), la baisse des volumes serait donc bienvenue. L’agence de l’eau suit ça de près : c’est enfin une démonstration à une échelle de quartier, nécessaire pour voir si le système pourrait éventuellement être généralisé.
Mais les défis sont nombreux : ménages comme responsables des bâtiments devront, par exemple, accepter de modifier leur comportement, notamment renoncer aux produits lavants habituels, trop agressifs. Par ailleurs, pour qu’il puisse être développé à grande échelle, le nouvel engrais devra idéalement sortir à un prix inférieur à ceux des produits existants. « Nous allons apprendre en marchant, lance Martin Guespereau. Personne n’a fait si grand que nous ».
Après deux ans d’incubation, d’autres actions ont été lancées. L’EPA veut également réutiliser les eaux usées traitées dans les logements : l’idée est que les eaux « grises » de douche et de cuisine servent pour les toilettes et les lave-linge. Le test se fait cette fois-ci à l’échelle d’un bâtiment, un ensemble de 200 logements (600 habitants) à Corbeville, afin de s’assurer de la sécurité sanitaire, et en lien avec l’Agence régionale de Santé. Le directeur de Paris -Saclay connaît le sujet sur le bout des doigts pour avoir dirigé l’ex -Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail. « De nombreux autres pays l’ont fait ». Paris-Saclay compte aussi réfléchir à l’utilisation de ses propres terres de chantier, qui sont « très bonnes », assure son directeur général. L’objectif est de faire émerger une filière de construction en terre crue. En parallèle, il pousse chercheurs, étudiants et agriculteurs à monter des projets communs au sein d’une « lisière agricole expérimentale » sur six hectares. Histoire aussi de créer du lien.
Le coût de ces opérations de « transformation écologique de la ville » a été évalué à 13,5 millions d’euros. Des investissements qui sont financés à hauteur de 5,4 millions par la Banque des Territoires via son programme « Démonstrateurs de la ville durable » dont Paris-Saclay est lauréat. « Nous sommes mariés dans notre histoire au métro de la ligne 18, à la mobilité décarbonée donc, rappelle Martin Guespereau. Par conséquent, nous voulons que la ville aussi soit décarbonée ».
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