Ça tourne toujours à Gémenos ! Sur ce site industriel, près de Marseille, qui a vu grandir dans les années 1990 et 2000 la pépite française Gemplus – devenue Gemalto puis rachetée par Thales -, les bobines aux airs de cinéma du siècle dernier continuent de dérouler un film métallisé et les puces qu’il enveloppe. Comme des millions d’autres chaque année, elles viennent d’être assemblées. Après découpe, chacune d’entre elles deviendra l’élément central d’une carte bancaire. Le système est rodé depuis des années.

Mais il ne faut pas se fier à ces bobines, devenues dans d’autres industries le symbole d’une époque révolue. Ici, cinquante ans après l’invention de la carte à puce par le Français Roland Moreno, et trente ans après sa première utilisation grand public pour les cartes prépayées des cabines téléphoniques, on travaille pour l’avenir, comme en témoignent les déambulations de ce robot cylindrique qui se promène d’un atelier à l’autre pour apporter aux techniciens fil d’or et autres matières premières.

L’héritage de la carte à puce
Le même type de puces fait maintenant partie intégrante des dernières générations de cartes d’identité et de passeports plus difficilement falsifiables. Ultra-sécurisés, ces petits rectangles de silicium sont désormais programmés pour résister à la puissance d’un ordinateur quantique, les ordinateurs du futur qui pourraient mettre à mal les algorithmes traditionnels de chiffrement des données d’ici vingt ans.
« La carte à puce n’est pas morte », assure, depuis un laboratoire fourmillant de prototypes, Ali Zeamari, le responsable de l’innovation pour la branche Identité et Sécurité Numériques de Thales. Le groupe industriel spécialisé dans les systèmes critiques a racheté Gemalto en 2019 pour 4,8 milliards d’euros. Son pari est de voir la carte à puce se transformer tout en conservant son rôle fondamental d’authentification. Des opportunités existent, notamment dans le secteur de la cybersécurité. Thales s’y développe par ailleurs, avec le récent rachat de l’américain Imperva.
« Le savoir-faire hérité de la carte à puce nous permet de protéger des données et des systèmes, par exemple un smartphone, ou même un lieu en repérant les drones non autorisés à le survoler », explique Philippe Vallée, l’ancien patron de Gemalto. Il dirige désormais l’activité pour Thales.

Un marché mondial en croissance
Après une mauvaise conjoncture en Europe et aux Etats-Unis à la fin des années 2010, le marché a repris un peu d’allure depuis, aidé par les pays émergents. Il se vend désormais plus de 9 milliards de cartes à puce par an d’après le cabinet ABI Research. Celui-ci prévoit un retour tout près de la barre des 10 milliards à l’horizon 2028.
Le phénomène de numérisation des paiements et des télécoms a certes eu un impact sur le marché, mais il atteint désormais ses limites, selon les professionnels du secteur. « Sur le bancaire, il y a une digitalisation mais la carte se maintient. D’une part, c’est une solution de repli pour les cas où le smartphone n’aurait pas de batterie. D’autre part, les banques – y compris les banques en ligne – investissent dans l’objet pour créer un lien physique avec leurs clients », assure Amaanie Hakim, la vice-présidente innovation d’Idemia, concurrent français de Thales.
Dans les télécoms, de nombreux opérateurs, par exemple en France, freinent des quatre fers contre l’arrivée de la carte SIM virtualisée (eSIM), par peur que sa simplicité d’activation permette à leurs clients de migrer plus facilement vers la concurrence.

La carte à puce à l’ère du logiciel
Mais pour les industriels du secteur, l’essentiel n’est plus seulement dans ces cartes à puces physiques. Contraints de se transformer, sous la pression des champions de la tech comme Apple, Google ou Stripe, ils ont développé de nouvelles activités mêlant la carte elle-même avec des services sous forme de logiciels.

Alors que certains opérateurs télécoms prennent le pli de commercialiser des eSIM et que le paiement mobile gagne du terrain, les fabricants se muent en fournisseurs d’un élément sécurisé physique pour les marques de smartphone. Cette puce, puisqu’il s’agit toujours de cela, est ensuite intégrée dans l’appareil pour y jouer son rôle d’authentification.

Depuis la position stratégique du smartphone, la puce sécurisée peut ensuite être utilisée dans une myriade d’applications. La sécurité de l’intelligence artificielle, de l’Internet des objets et de la voiture connectée passera en partie par la carte à puce.

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