Votre logement sera-t-il submergé à plus ou moins longue échéance par la mer ? Pourrez-vous alors être indemnisé, de combien et par qui ?

Ces questions sont au coeur des sujets de préoccupation des notaires, qui viennent de formuler 12 propositions au travers de leur association Congrès des Notaires de France. L’une d’entre elles traite du risque d’érosion de la côte sur le littoral français. Ce risque climatique , pour l’instant occulté, devrait finir par peser sur la valeur de biens immobiliers, qui, dans certains cas risquent d’être totalement détruits sans aucune indemnisation pour leur propriétaire.

Les notaires empruntent un chemin astucieux pour répondre à ce risque. Ils proposent d’anticiper l’intégration de la propriété dans le domaine public maritime, ce qui serait le cas dans l’hypothèse d’une submersion totale, « en offrant la possibilité d’une préemption ou d’un délaissement portant uniquement sur le sol et le tréfonds [volume de terre se trouvant sous la surface du sol dont une personne est propriétaire, NDLR] ». La commune qui préempte le bien ne devra débourser que le montant du sol et du tréfonds et non acheter l’ensemble du bien.
Le propriétaire conserve de son côté un droit d’usage temporaire aussi longtemps que l’érosion le permettra. « Il s’agit d’un véritable droit de propriété temporaire, précise Me Eric Meiller, président de la commission notariale qui a traité ce sujet. Le propriétaire pourra le vendre à son tour, l’hypothéquer, louer le bien concerné, le transmettre à ses héritiers… ».
Attention, précise-t-il, cette proposition n’est qu’un premier pas. Elle devra être précisée dans ses détails techniques, et aussi au regard des questions financières qu’elle soulève concernant une indemnisation à grande échelle. « Tout ce système doit être ficelé derrière ». D’ailleurs, remarque-t-il, « si des mécanismes de solidarité nationale étaient mis en place afin que les propriétaires concernés ne perdent pas tout quand la mer arrive et submerge leur bien, elle n’aurait plus lieu d’être. »

450.000 logements concernésL’érosion côtière est un phénomène naturel accentué par les aléas climatiques et les facteurs humains. Il est désormais bien identifié. Fin juillet 2023, le gouvernement a publié une liste de 242 communes menacées . L’inscription étant volontaire sur cette liste, quelques stations balnéaires réputées qui vont être affectées par l’érosion du littoral en seraient encore absentes. Un cinquième des côtes est touché et des centaines de bâtiments, souvent d’habitation, sont impactées dans les cinq ans à venir. Et ce n’est que le début. Erosion des côtes et submersion marine vont s’accentuer. « Ce recul menace les biens et les personnes à tel point qu’à l’horizon 2100 on estime que 450.000 logements seront concernés », précise le rapport notarial.
Les impacts socio-économiques et financiers seront très lourds . Le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) a estimé en 2020 la valeur des logements qui seraient frappés par l’érosion d’ici à 2100 jusqu’à 8 milliards d’euros. Des problèmes de sécurité en découlent, des questions patrimoniales se posent pour l’avenir. Sur ce dernier aspect, relèvent les notaires, « il faut avoir conscience que tout terrain gagné par la mer devient ipso facto, sans indemnisation, propriété de l’Etat. »
Concernant la situation des logements situés dans ces zones à risque, « le droit est contradictoire, observe Me Eric Meiller. Soit le propriétaire n’est pas indemnisé – son assurance ne couvre pas ce risque – et subit une perte sèche, soit de façon exceptionnelle (1), le fonds Barnier [Fonds de prévention des risques naturels majeurs, NDLR] l’indemnise royalement ». Créé en 2023, un Comité national du trait de côte (CNTC), mandaté par les pouvoirs publics et qui a récemment remis son rapport, réfléchit à une indemnisation qui s’appuie sur la pleine propriété du bien. Plafonnée, elle cible, sous conditions, les propriétaires occupants de résidences principales en contrepartie de la cession du logement à la commune. Quid alors des résidences secondaires très présentes sur ces littoraux ?

Croyance collective fausse
Dans leur réflexion actuelle, les notaires s’inspirent d’un mécanisme temporaire créé par la Loi Climat et résilience de 2021, le bail réel d’adaptation à l’érosion côtière (BRAEC). Ce bail ne concerne que les nouveaux aménagements, pas l’existant, et permet une gestion temporaire, par exemple par une collectivité locale, pour une durée définie, des biens acquis dans les zones exposées au recul du trait de côte.
Avec la mise en place d’un droit de propriété temporaire, l’idée du notariat est de mieux « caler le droit sur les faits ». Ainsi, si le bien immobilier est périssable, la propriété ne peut être perpétuelle. Mais « il ne s’agit pas d’être le fossoyeur du droit de la propriété, mais en réalité de défendre ce droit » , argumentent aussi les notaires. « Nous donnons la possibilité aux propriétaires de vivre dans le logement jusqu’à ce que la mer monte et d’être indemnisés concernant le terrain, souligne Me Eric Meiller. Alors qu’ils sont souvent désarmés face au problème, l’achat du droit temporaire leur permet de l’anticiper. »
Jusque-là en effet, comme en témoigne le faible reflux des prix- toujours élevés – de l’immobilier en bord de mer , acheteurs, vendeurs comme intermédiaires sont souvent dans le déni. « Il y a une croyance collective que quelqu’un, à la fin, indemnisera le propriétaire du bien, observent les notaires. C’est faux. »
Pourtant, depuis le 1er janvier 2023, grâce à la loi Climat, l’exposition au recul du trait de côte doit être mentionnée dans les annonces des agents immobiliers. L’acheteur doit être informé en amont d’une potentielle exposition à ce risque. Un document à ce sujet doit figurer dans l’annexe de l’acte vente. Les notaires proposent cependant d’améliorer le dispositif d’information légale en cas de mutation.
Actuellement, relève Eric Meiller, « les acheteurs sont informés sur le fait que leur bien se situe ou non dans une zone à risque, mais on ne leur dit pas quels risques ils encourent, quand et comment. » Alors que les évènements climatiques autrefois exceptionnels se multiplient sur tout le territoire, il est urgent de ne plus faire l’autruche. L’acheteur doit être informé en amont d’une potentielle exposition à ce risque. C’est un impératif.

(1) A l’origine, ce fonds créé par la loi du 2 février 1995 à l’initiative du ministre de l’Environnement de l’époque, Michel Barnier, devait financer les expropriations de biens exposés à un risque naturel prévisible de mouvements de terrain, d’avalanches ou de crues torrentielles menaçant gravement des vies humaines. Ce fonds a permis d’indemniser dans un village en Isère les habitants expropriés face à la menace d’éboulement de la montagne. Puis le périmètre du fonds Barnier a été étendu, notamment au risque de submersion marine. Mais, dans ce cas précis, l’indemnisation est très encadrée et l’aléa doit être inconnu. Ce qui n’est pas le cas des biens identifiés comme menacés par l’érosion du littoral.

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