« Macron en rêvait, je l’ai fait, et ce n’était pas si difficile. » La phrase bute sur un « voir plus », sur lequel vous vous empressez de cliquer. Le texte se déroule. L’auteur du post LinkedIn, un entrepreneur très suivi, nous explique comment il a surmonté la terrible crise de gouvernance qui a frappé de plein fouet sa start-up. Moins intéressant que prévu mais vous continuez à lire. Les phrases sont drôles et les anecdotes personnelles. On y apprend qu’une grève a ébranlé son entreprise à la suite du refus du startuppeur de nommer le nouveau directeur général voulu par les actionnaires. Puis il explique comment il a réussi à promouvoir la personne qu’il voulait.
Ok, cette situation est inventée par l’auteur de ces lignes, mais tout aficionado de LinkedIn l’a déjà vécue des centaines de fois. On s’est tous laissé attraper par une formulation qui fait mouche, puis le récit d’une aventure personnelle plus ou moins mièvre pour finir par une conclusion à la gloire du rédacteur. La structure est éculée. Et pour cause, un certain nombre de ces posts ont été écrits par une intelligence artificielle (IA).
D’après un sondage -non représentatif de la population française- posté sur la page LinkedIn des Echos START, 6 % des 373 répondants affirment déléguer entièrement à une IA la rédaction de leurs posts. C’est peu, mais 55 % disent y avoir recours pour les écrire à quatre mains (les siennes + celles de l’IA). Au total, 61 % des répondants l’utilisent.
L’IA me fait passer d’une simple idée à un post en quelques secondes
Vincent Coirier est directeur des ventes pour un logiciel. Il publie quatre posts par semaine pour inciter des prospects à prendre rendez-vous avec lui. « C’est très important d’automatiser cette tâche chronophage. Un post LinkedIn qui veut toucher un grand nombre de personnes peut prendre 1 à 2 heures. Mon outil IA divise par deux le temps de rédaction. » Lui a entraîné une IA basée sur ChatGPT, avec ses propres directives adaptées à son profil (ce qu’on appelle un prompt). « L’IA me fait passer d’une simple idée à un post en quelques secondes. Je n’ai plus qu’à affiner. »
Pour Alexis Pineaud, créateur de contenus et responsable d’agence d’influence en charge de l’image de ses clients, l’IA divise même par quatre le temps de rédaction. Pour ce faire, il en a automatisé la production. Il utilise un tableau (sur le logiciel Notion) pour organiser ses posts sur plusieurs semaines. A chaque date correspond un sujet, un angle, le ton à adopter, la structure narrative à adopter et des URL d’articles à donner à l’IA pour s’inspirer. A la fin, une formule lui retourne un prompt agrégeant toutes ces informations pour chacun des sujets, qu’il injecte dans une IA et le tour est joué. Enfin presque. Il les relit rapidement pour personnaliser le contenu.
Sans aller jusqu’à la procédure décrite dans cette vidéo, qui peut décourager les plus néophytes, des générateurs de posts LinkedIn se sont développés sur Internet qui rendent la chose des plus faciles. Il est aussi bien sûr possible d’utiliser les IA les plus connues comme ChatGPT qu’il faudra entraîner en fonction de votre profil et de vos attentes.
Standardisation : la faute aux algos ?
L’IA, c’est donc du temps économisé. En particulier pour les gros « posteurs ». C’est aussi un bon moyen de diversifier le contenu. Oui, car avec l’IA, il suffit de demander : un jour, un format narratif fondé sur une histoire personnelle, le lendemain un post chiffré cette fois basé sur une étude ; une fois utilisant un ton grinçant et une autre plus policé. Vos posts ne se ressemblent plus. C’est en tout cas la promesse de l’intelligence artificielle.
Mais encore faut-il la paramétrer pour qu’elle produise un contenu personnalisé. « L’IA est générative, pas créative », commente Alexis Pineaud. Parmi les 61 % de nos répondants ayant recours à l’IA, combien savent développer des prompts pertinents qui produiront du contenu à valeur ajoutée, adapté à leur profil ? Le risque est bien entendu de voir des posts ressemblants se multiplier. D’ailleurs, n’est-ce pas déjà le cas ? Nous n’avons trouvé aucune étude mesurant ce ras-le-bol LinkedIn, mais une même impression semble circuler : les posts ne visent plus qu’à attirer notre attention pour ensuite vendre un parcours personnel des solutions business (pas tellement) hors du commun. L’IA a-t-elle sa part de responsabilité ?
Loin d’être effrayé par l’impact de l’IA sur la qualité des publications, LinkedIn pousse cette solution auprès de ses abonnés. L’entreprise américaine a développé un outil de rédaction géré par l’IA, « qui s’appuiera sur vos idées sur un sujet et les transformera rapidement en une première ébauche », détaille le site internet du réseau social. « Plus vous fournissez de détails, plus votre brouillon sera de bonne qualité. » Pour l’instant, cette fonctionnalité n’est disponible que pour les abonnés disposant d’un compte premium, et utilisant l’anglais.
De toute façon, pour Alexis Pineaud, ce n’est pas l’IA qu’il faut incriminer. « TikTok, Instagram, LinkedIn… chaque réseau a ses structures spécifiques qui surperforment. Sur YouTube par exemple, il faut une miniature forte, un titre incitatif puis une écriture dynamique qui pousse à retenir le plus longtemps possible l’audience. En réalité, ce sont les algorithmes des plateformes qui imposent des structures types, et les IA, qui comprennent ça, reproduisent les modèles les plus efficaces. »
Et l’expert d’ajouter : « Le risque de standardisation est présent uniquement à partir du moment où l’IA fait tout toute seule et reproduit ces structures. Il faut lui inculquer notre propre façon de penser. »
Une qualité pas forcément meilleure
Reste à savoir si l’IA aboutit à un travail de meilleure qualité. Que ce soit pour les posts LinkedIn ou toute autre production, l’IA permet un saut qualitatif pour celles et ceux qui ont une faible maîtrise du sujet. « Pour quelqu’un qui sait par exemple comment bien construire un post LinkedIn, la qualité d’une production IA ne serait pas forcément meilleure. L’intérêt sera surtout le temps économisé », conclut Alexis Pineaud.
Une conclusion qui pousse certains à s’en tenir à leur cerveau et rien que leur cerveau. Guihaine Dépit est coach en image et stratégie d’influence, et pour elle, l’IA n’est pas une solution. « Jamais de chez jamais d’IA pour écrire mes contenus que j’espère inimitables. Je hais l’écriture de contenu de l’IA. » Et d’ajouter : « Je suis une humaine avec un coeur sensible. »
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