Au soir du 15 septembre 2014, le Tout-Paris des médias s’était donné rendez-vous sous le pont Alexandre-III pour célébrer dans un restaurant branché l’arrivée de Netflix en France. Sans imaginer encore que cette date marquerait la fin d’une époque, celle de la télévision reine, et le début d’une autre, celle du streaming.

Ce jour-là, Netflix lance son service en France (et dans cinq autres pays dont l’Allemagne), proposant à partir de 8 euros par mois son vaste catalogue à la demande, avec des séries au ton novateur comme « Orange Is the New Black ».

« Avant, le mot ‘plateforme’ n’existait quasiment pas dans le secteur audiovisuel, rappelle Philippe Bailly, fondateur de NPA Conseil. Grâce à Netflix, pour la première fois, le public pouvait s’abonner à un service où on pouvait regarder un énorme catalogue, sur tous les écrans, et faire du ‘binge-watching’ en regardant tous les épisodes d’une série en un week-end… »

Les grandes chaînes françaises avaient tenté de se prémunir contre cette nouvelle menace : Canal+, par exemple, en achetant pour la France les droits de la série phare de Netflix « House of Cards ». La chaîne cryptée avait aussi lancé dès 2011 son service de streaming (CanalPlay), tout comme M6 qui proposait également depuis quelques années une offre de rattrapage en ligne.

Prime au leader
Mais la plateforme va vite imposer un nouveau paradigme. « Netflix a accéléré comme aucun autre la généralisation du streaming vidéo en introduisant un confort d’utilisation inédit », souligne Philippe Bailly. Et cela grâce à son interface et ses algorithmes.
Le public adhère vite, à mesure que Netflix ajoute à ses grandes séries internationales des productions originales françaises. Parmi elles, « Marseille » en 2016, première série originale française du service, ou « Lupin » en 2021, qui connaît un rayonnement international.
Dans le monde, Netflix est passé de 48 millions d’abonnés en 2014 à près de 278 millions dix ans plus tard. « Il y a toujours une prime au leader. Netflix est le premier qui a su profiter à une échelle mondiale des opportunités de la vidéo sur Internet. Les autres plateformes internationales de SVoD ont généré pendant longtemps – et souvent génèrent toujours ! – des pertes considérables », rappelle Nicolas de Tavernost, l’ex-patron de M6, désormais chez CMA CGM. Netflix, au contraire, affiche des résultats flatteurs, avec 5,4 milliards de dollars de bénéfices nets en 2023.

Révolution du délinéaire
En France, l’un de ses marchés les plus dynamiques, le service franchit en juillet 2022 le cap des 10 millions d’abonnés. Un total tenu confidentiel depuis, mais qui a dû croître, sous l’effet du lancement à l’automne 2022 de l’offre moins chère avec publicité, puis des restrictions au partage des comptes.
Selon les estimations du Baromètre de l’offre SVoD (« subscription video-on-demand ») de NPA Conseil/Harris Interactive, au moins 12 millions de foyers français seraient aujourd’hui abonnés à Netflix, soit un taux de pénétration estimé à environ 40 % fin juin, devant Amazon Prime Video (30 %) et Disney+ (20 %).
Ce succès fulgurant a fait le bonheur de sociétés de production audiovisuelles françaises, qui ont trouvé chez les plateformes de nouveaux débouchés et sont devenues pour certaines des géants européens, comme Mediawan ou Banijay.

Mais la place prise par Netflix dans le quotidien des spectateurs s’est aussi faite au détriment de la consommation en linéaire des chaînes traditionnelles, qui ont dû se réinventer, quitte à s’inspirer du géant californien. Le cofondateur Reed Hastings était allé un peu loin en prophétisant la fin de la télévision. Mais celle-ci a bien changé de visage.

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