Le paiement est l’ultime étape du parcours client avant la validation de l’achat. Il est souvent vécu comme un irritant pour le client, mais c’est une étape clé pour le marchand, en particulier pour lutter contre la fraude. Cette double problématique est portée à son paroxysme pour un leader du luxe comme LVMH et ses 80 Maisons.
Présent dans 75 pays, le groupe LVMH défend les couleurs de ses 80 Maisons dans la mode, la maroquinerie, la joaillerie, les parfums et cosmétiques, l’hospitalité et les vins et spiritueux. Le groupe compte de nombreuses activités en parallèle et son organisation est très décentralisée. Cette complexité apparente doit être prise en compte lorsqu’il s’agit de gérer les problématiques de paiement et de fraude à l’échelle mondiale.
Afin de définir une stratégie de paiement, le groupe LVMH a recruté Arnaud Bodzon, actuel Head of Payment Group pour le groupe LVMH en 2017. Il a alors été chargé de trouver des sources de rationalisation et de mutualisation des moyens mis en œuvre par les Maisons (Louis Vuitton, Céline, Christian Dior, LOEWE, etc.). Le but était de capitaliser sur ce qui a été fait dans le groupe afin que les bonnes pratiques profitent à tous. Il anime aujourd’hui une communauté interne sur le paiement et la fraude avec les différentes Maisons, les départements et les fournisseurs avec lesquels il a des partenariats.
« Les clients font des allers-retours entre les canaux et il n’y a pas un comportement type par canal »
Le responsable identifie 3 grandes tendances, dont la première touche à l’omni-canalité. « Il s’agit de process [l’omni-canal] très longs à mettre en place, de véritables projets d’entreprise qui demandent beaucoup de temps » rappelle-t-il. « Ces projets impliquent la mise en place de nombreuses briques technologiques, et le paiement est l’une d’elles » explique-t-il. L’omni-canalité devient un passage obligé. « Les clients, notamment dans le luxe, sont de plus en plus omni-canaux. Il n’y a plus de barrière et ceux-ci font des allers-retours entre les canaux et il n’y a pas un comportement type par canal » poursuit-il.
Pour Arnaud Bodzon, la deuxième tendance forte porte sur l’amélioration de l’expérience utilisateur. Dans le paiement, cela va de l’optimisation du 3D Secure pour réduire la friction au moment de l’achat au choix de moyens de paiement qui sont adaptés aux clients. « Dans le luxe, il faut s’adapter aux particularités de chaque pays. Nous avons des clients qui sont internationaux. Ils voyagent beaucoup et il faut s’adapter à leurs besoins et au fait qu’ils vont dans nos boutiques dans différents pays » ajoute-t-il.
La maîtrise interne de la Data sur les paiements indispensable pour LVMH
La troisième tendance forte pour LVMH dans le paiement porte sur la Data. L’exploitation de la donnée permet au groupe de mieux comprendre ses clients, comprendre pourquoi ceux-ci optent pour un moyen de paiement plutôt qu’un autre, comprendre leurs habitudes d’achat. « La Data est aussi un moyen pour nos Payment managers de monitorer nos performances, challenger nos providers, identifier d’éventuels problèmes d’intégration, les problèmes liées aux autorisations, etc. » liste-t-il.
« Cette Data nous permet de challenger les nouveaux moyens de paiement que nous pourrions intégrer »
« Cette Data nous permet aussi de challenger les nouveaux moyens de paiement que nous pourrions intégrer et vérifier que tel moyen de paiement tient réellement ses promesses » pointe-t-il. Ainsi, Parfums Christian Dior a mis en place son propre système de Business Intelligence (BI), avec un reporting automatisé basé sur les fichiers issus de ses PSP (Prestataire de Services de Paiement). Toutes ces données sont intégrées et permettent de calculer les KPI et générer le reporting.
Un premier niveau de reporting est destiné aux équipes e-commerce, aux équipes de la finance et à la direction. Un deuxième niveau regroupe toutes les données techniques, avec les autorisations, les taux d’erreurs par code banque. « Ces KPI me permettent de suivre l’activité des sites au quotidien » confie Mélanie Grignon, Payment & fraud manager chez Parfums Christian Dior.
Un suivi pointilleux des évolutions chez les Parfums Christian Dior
Le suivi de l’évolution des indicateurs est pointilleux. « Dès qu’un indicateur est au-deçà de son niveau habituel, ce reporting permet de l’analyser, vérifier si d’autres marchés sont concernés, et éventuellement transférer l’information aux équipes IT pour corriger un éventuel problème. En local, les équipes comptables vont vérifier que les flux alimentent bien les comptes bancaires. Cette action est aussi très importante » dit-elle.
« Les métriques que je surveille le plus, ce sont les taux de conversion de nos PSP »
Autre cas, il y a 24S, site de vente en ligne de produits de luxe lancé par le groupe LVMH en 2017, baptisé ainsi en lien avec le 24, rue de Sèvres à Paris, où se trouve le Bon Marché, grand magasin majestueux qui fait partie du groupe LVMH. 24S place le taux de conversion comme étant la métrique numéro 1 du e-commerce. « Les métriques que je surveille le plus, ce sont les taux de conversion de nos PSP » présente Marie-Virginie Navarre, Payment & Fraud Manager chez 24S.
24S arbitre rapidement entre ses PSP selon les performances. « Ces données nous permettent d’effectuer un monitoring technique et basculer les flux sur un PSP en backup si, par exemple, il n’y a plus de transactions pendant 5 minutes. En fonction d’un taux d’autorisation par pays, je peux opter pour un autre PSP plus performant » indique-t-elle. Mais la responsable rappelle que pour tout site de e-commerce, le fléau reste la fraude. « C’est la triple peine : outre la perte de chiffre d’affaires, nous payons l’envoi [livraison du produit commandé sur le site e-commerce 24S], puis le charge back de 15 $ à 20 $ réclamé par le transporteur » décrit-elle.
Mieux convertir tout en limitant la fraude
La donnée sert à obtenir une meilleure vision de la situation. « La difficulté de notre métier est vraiment de mieux convertir tout en limitant la fraude. Disposer de données nous permet de placer le curseur au bon niveau » exprime-t-elle. Dès lors, ces métriques sont suivies de manière hebdomadaire et même quotidiennement pour certaines. « Les KPI nous permettent de définir une stratégie et de prioriser nos projets » ajoute Marie-Virginie Navarre.
« Un KPI global peut être positif, mais dès que l’on creuse un peu, on peut trouver de nombreux problèmes »
Cette maîtrise en interne des KPI liés aux paiements et à la fraude est indispensable pour ne pas devoir se contenter des indicateurs délivrés par les fournisseurs. Ces KPI sont baptisés de « KPI pastèques » par Marie-Virginie Navarre car le KPI est vert à l’extérieur mais rouge à l’intérieur. « Un KPI global peut être positif, mais dès que l’on creuse un peu, on peut trouver de nombreux problèmes » alerte-t-elle.
Elle donne un exemple. « Avec l’un de nos providers de détection de fraude, nous avions défini un taux d’acceptation global qui a été tenu par notre prestataire pendant des mois. Par contre, lorsque nous sommes entrés dans le détail, nous avons constaté des taux d’acceptation qui n’étaient pas très bons dans certains pays » illustre-t-elle. Il a fallu revoir le détail de la prestation. « Nous avons revu avec eux le traitement dans les pays concernés, ce qui nous a apporté un gain de 1 million d’euros de chiffre d’affaires pour seulement 4 jours de développement » se félicite-t-elle.
L’intelligence artificielle vient à la rescousse
L’intelligence artificielle est bien entendu venue enrichir les dispositifs de lutte contre la fraude mis en place par le groupe LVMH. « Nous en utilisons dans le cadre de la lutte contre la fraude » reconnaît Arnaud Bodzon. « L’IA nous permet d’exploiter des volumes de données très importants, de très nombreuses sources de données qui sont très variées et auxquelles on ne songe pas forcement dans un premier temps » déclare-t-il.L’IA apporte l’automatisation. « Cela nous permet surtout de maintenir en permanence nos algorithmes de lutte contre la fraude, ce qu’il serait impossible de faire manuellement. »
« Il faut aussi être capable de réajuster en permanence les modèles [de Machine Learning] »
Mélanie Grignon des Parfums Christian Dior évoque notamment l’utilisation du Machine Learning (l’Apprentissage automatique) dans le contrôle des adresses d’expédition, mais elle en souligne aussi les limites. « Le Machine Learning permet d’industrialiser des contrôles manuels, mais il faut aussi être capable de réajuster en permanence les modèles. Ainsi, nous avons un modèle qui détecte un envoi vers l’adresse d’un hôtel. Or il y a l’hôtel Dieu à Paris, par exemple. Pour corriger ce type d’erreur, l’humain reste essentiel » dit-elle.
Le site e-commerce 24s exploite aussi le Machine Learning avec son application « Identity Explorer ». Le but est alors de traquer les revendeurs de produits de luxe qui sont pléthore en Asie, ou encore pour détecter les retours abusifs ou les acheteurs qui comptent un nombre anormalement élevé d’adresses email pour une même identité.
Partager les bonnes pratiques entre les maisons
Pour Arnaud Bodzon, cette maîtrise des indicateurs permet aussi d’établir des benchmarks entre les différentes entités du groupe LVMH afin de faire progresser toutes les maisons dans le bon sens. Les KPI sont passés au gril. « Nous pouvons comparer nos taux d’autorisation, nos taux de consentement 3D Secure entre les différentes maisons, nos différents providers. Cela permet au groupe d’apporter un meilleur support aux maisons, aider celles qui n’ont pas les moyens internes de développer leurs propres outils » commente-t-il.
Une Maison qui a un taux d’autorisation au Japon très bas peut essayer de l’améliorer en appliquant les recettes d’une maison qui obtient de meilleurs résultats là-bas
S’il n’y a pas tellement d’intérêt à comparer un taux d’autorisation en Allemagne avec ce taux d’autorisation au Japon, en revanche une maison qui a un taux d’autorisation au Japon très bas peut essayer de l’améliorer en appliquant les recettes d’une maison qui obtient de meilleurs résultats là-bas.
Arnaud Bodzon, responsable du paiement à l’échelle du groupe LVHM considère que si le paiement est un sujet complexe, il est transverse au groupe et impacte de nombreux départements de par sa nature. « Nous travaillons avec l’IT, le Digital, la Finance, les Achats et chacun de ces départements peut prendre de meilleures décisions à partir de ces données. Nous travaillons avec tous les départements et ce n’est pas un domaine réservé à la Tech. » Il estime que chacun dans une organisation telle que le groupe LVMH doit s’y intéresser.
« Le paiement, c’est l’étape ultime du parcours d’achat et c’est souvent elle qui laisse un souvenir désagréable au client si celle-ci ne se déroule pas de manière optimale, c’est l’aboutissement d’un processus qui peut prendre des années si on remonte jusqu’au moment où le produit est imaginé ! » conclut Arnaud Bodzon, Head of Payment Group chez LVMH.
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