Aucun chef d’entreprise n’a envie de payer plus d’impôts sur les sociétés. Les distributeurs pas plus que les autres. Mais ceux-ci s’estiment de surcroît discriminés par le projet de loi de finances élaboré par le gouvernement Barnier.
« Le critère qui détermine le seuil à partir duquel se déclenche la hausse de l’impôt sur les sociétés, à savoir le chiffre d’affaires, pénalise les groupes de distribution », argumente Layla Rahhou, la déléguée générale de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD). Les seuils sont fixés à un milliard de chiffre d’affaires pour le passage d’un taux de 25 % à 30 %, soit une hausse de 20 %, et à 3 milliards pour l’augmentation du taux jusqu’à 35 % du résultat, soit une élévation de 40 %.
67 % de prélèvements
« Les distributeurs sont par définition des entreprises qui réalisent de gros volumes de chiffre d’affaires, mais qui n’en tirent que de faibles marges nettes, comprises entre 1 % et 2 % », poursuit la représentante des Carrefour et autres Auchan. Les dirigeants restent discrets pour le moment. Difficile de donner l’impression de ne pas vouloir participer à ce qui s’apparente à un mouvement de redressement national. Ils n’en pensent pas moins.
Les champions des grandes surfaces rechignent d’autant plus à l’augmentation de leurs impôts qu’ils en paient déjà beaucoup. Selon les calculs de leur syndicat professionnel, le montant des prélèvements obligatoires acquittés par les distributeurs représente 67 % de leur résultat d’exploitation, contre 44 % pour les autres industries. Les supermarchés acquittent par exemple la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) ou une taxe sur les enseignes lumineuses. Autant d’impôts déconnectés d’une quelconque activité économique.
Ni la FCD ni les groupes concernés n’ont achevé leurs calculs sur l’impact précis de la hausse demandée, mais « cela se chiffre en centaines de millions d’euros », estime Layla Rahhou. Un dirigeant parle de dizaines de millions d’euros pour sa seule entreprise, « autant d’argent qui ne sera pas investi dans la baisse des prix ou la décarbonation », peste-t-il.
Passages en franchise
Auchan et Casino étant déficitaires en 2023 , ils risquent de l’être encore en 2024 et d’échapper donc à tout impôt sur les sociétés. Dans l’alimentaire Carrefour est le premier concerné, mais dans d’autres secteurs, les Decathlon et autres Leroy Merlin ne seront pas épargnés. La colère est d’autant plus vive chez Carrefour que la hausse de l’impôt sur les sociétés accentue les distorsions de concurrence entre eux et les commerçants indépendants comme Leclerc, Intermarché ou U.
C’est à croire que tout est fait pour favoriser les réseaux d’indépendants
Actionnaire d’un groupe intégré
Ces derniers, organisés en coopératives, ne consolident pas les résultats de leurs magasins. Ils demeurent donc au-dessous des seuils du milliard ou des 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires. L’Etat n’augmente pas les impôts des adhérents Leclerc et Intermarché, pourtant millionnaires pour beaucoup.
« C’est à croire que tout est fait pour favoriser les réseaux d’indépendants », s’écrie l’actionnaire d’un groupe intégré. Il ajoute avec malice : « Cela va devenir difficile de reprocher à une enseigne de passer ses magasins en location-gérance ou en franchise. » Carrefour, mais aussi Auchan ou Kingfisher, la maison mère de Castorama, ont en effet tous mis au point des programmes de passage de points de vente en difficulté en franchise, via la location-gérance dans un premier temps.
Les syndicats de salariés sont vent debout contre ces mutations, considérant que les employés perdent les avantages sociaux des grands groupes. Des groupes auxquels on demande d’être à la fois mieux-disants socialement et mieux-disants fiscalement.
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