Des collines verdoyantes à perte de vue, des haies qui bordent les pâturages où paissent nonchalamment des troupeaux de vaches. Le tout sous un ciel d’un bleu intense. En plein coeur du pays d’Auge, ce paysage bucolique pourrait laisser croire que le temps s’est arrêté. On s’attendrait presque à voir débarquer un vacher tout droit sorti d’un tableau de Millet. En réalité, ce sont ici des ingénieurs et des scientifiques qui s’activent à la ferme. Nous sommes dans un centre expérimental de l’Inrae, l’Institut national de recherche pour l’agriculture et l’environnement, situé près d’Argentan en Normandie.

La ferme, qui compte plus de 600 bovins et une équipe d’une vingtaine de personnes, commercialise certes du lait et de la viande, mais elle sert surtout de lieu d’études et d’observation pour aider les éleveurs à mieux adapter leurs pratiques au changement climatique. Ici, on peut tester, expérimenter, sans craindre de mettre son exploitation en faillite.

30.000 exploitations bovines ont disparu
« Faillite », un mot que les acteurs de la filière connaissent trop bien. Le secteur, dont une partie se retrouve cette semaine dans le Massif central pour un Sommet de l’élevage durable, connaît une crise majeure. En dix ans, 30.000 exploitations bovines ont disparu, les éleveurs de viande étant les plus touchés par ce marasme économique. Et le cheptel bovin a reculé de 9,2 % en dix ans, selon le service statistique du ministère de l’Agriculture.
« Les subventions publiques ont beau augmenter, le revenu moyen des éleveurs est en baisse constante du fait de la hausse des charges. L’exploitation des bovins pour la viande demande beaucoup de moyens et l’engraissement des animaux coûte cher avec les compléments alimentaires », explique Thomas Uthayakumar, de la Fondation pour la nature et pour l’homme.
Quant à la filière laitière, jusqu’ici davantage épargnée par la crise, elle a été ébranlée la semaine dernière par l’annonce du groupe Lactalis de réduire de près de 9 % les volumes de lait qu’il collecte en France. Soit 450 millions de litres sur un total annuel de 5,1 milliards de litres.
A ce sombre tableau économique s’ajoute une mise à l’index de plus en plus prononcée de la filière pour son impact sur le réchauffement climatique. Le secteur agricole représente près de 20 % des émissions de gaz à effet de serre en France, à quasi-égalité avec l’industrie et la construction. Et l’élevage, à lui seul, y contribue à hauteur de 59 %.
Le dioxyde de carbone, sur lequel se focalise souvent l’attention, n’est pas le principal souci de l’agriculteur. Le méthane en revanche, dont le pouvoir de réchauffement est 80 fois supérieur à celui du CO2, est émis par les bovins lors de leur digestion du fait de la fermentation des aliments. En France, 71 % des émissions de méthane sont dues à l’agriculture. Un chiffre qui explique l’insistance avec laquelle les militants écologistes prônent le régime végan.

L’importance des prairies
Dans l’unité expérimentale du Pin pilotée par l’Inrae, on n’est pas sur ce credo. « Le sujet de l’élevage est souvent traité sous l’angle des crises. Or, l’élevage est aussi une solution pour lutter contre le réchauffement climatique, estime Philippe Mauguin, PDG de l’Inrae. On a souvent tendance à dire qu’il faut arrêter de consommer de la viande et du lait pour limiter le réchauffement climatique. Mais la fertilisation azotée des sols grâce aux pâturages est essentielle pour la capture du CO2 », poursuit-il.
Les prairies sont en effet d’importants puits de carbone , dont l’Hexagone va avoir besoin pour tenir ses engagements de neutralité carbone. La fin de l’élevage en prairie n’est pas donc pas forcément souhaitable, surtout si on arrive à combiner cette pratique avec une baisse des émissions de méthane. Un pari que les chercheurs de l’Inrae sont en passe de réussir. Avec une palette d’outils plus large qu’on ne pourrait l’imaginer.
Les émissions de méthane étant liées à la digestion des vaches, les éleveurs ont d’abord cherché à modifier l’alimentation de leurs bêtes. Certains compléments alimentaires – à base d’algues rouges ou d’acides gras issus d’oléagineux comme le lin – peuvent réduire jusqu’à 40 % les émissions de méthane dites entériques. Des compléments qui ont toutefois un coût important pour l’éleveur.

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