Dans la cacophonie des débats qui a émaillé le début de l’examen du budget 2025 à l’Assemblée, les députés ne se sont pas privés d’ajouter ou de supprimer les taxes les plus variées. Une taxe pourtant n’a jamais été évoquée, la taxe carbone. Le mot est devenu tabou en France car on lui attribue le déclenchement de la crise des « gilets jaunes », à l’automne 2018. Il y a six ans déjà et, depuis, nul gouvernement n’a osé s’aventurer sur ce terrain de peur de raviver les braises de la colère populaire.
Du côté des économistes, on n’a pas les mêmes préventions et le sujet est âprement défendu par une bonne partie des experts du climat. La preuve en est, la publication cette semaine d’un rapport du think tank GenerationLibre sur l’intérêt d’instaurer une taxe carbone en France pour aligner les comportements des investisseurs, des entreprises et des consommateurs vers la neutralité carbone. Préfacé par Christian Gollier, professeur à la Toulouse School of Economics et inlassable défenseur d’une taxe carbone, le rapport est résolument engagé vers une solution de marché et radicalement opposé à toute planification écologique.
Un positionnement qui détonne dans une France où la planification est presque une seconde nature. Elle se décline d’ailleurs sur le volet environnemental en une panoplie impressionnante : programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et stratégie nationale bas carbone (SNBC), toutes deux présentées en début de semaine par le gouvernement ; mais aussi stratégie nationale énergie-climat, ou encore plan d’adaptation au changement climatique. Le tout supervisé par un Secrétariat général à la planification écologique, directement rattaché à Matignon, mais en perte d’influence ces derniers mois.
En finir avec les effets d’aubaine
Cette planification écologique par les politiques publiques via des subventions, incitations ou interdictions est-elle efficace pour faire baisser nos émissions de gaz à effet de serre ? Ou vaut-il mieux laisser jouer le signal prix et les marchés via l’instauration d’une taxe carbone ? C’est le second scénario qui, sans surprise, a la faveur des auteurs du rapport, qui dénoncent les effets d’aubaine ou le renchérissement artificiel des biens et services subventionnés par l’Etat pour assurer la transition écologique.
Faut-il pour autant tout miser sur le seul prix du carbone pour éviter ces écueils ? « La tarification du carbone est un très bon instrument parce qu’elle taxe l’usage des fossiles et permet de redistribuer une rente, mais ce n’est pas la solution, estime Christian de Perthuis, fondateur de la chaire Economie du climat à Dauphine. Au vu de l’urgence climatique, on ne peut pas attendre que les actifs fossiles se déclassent d’eux-mêmes, par le seul effet des prix de marchés. Il y a un coût de désinvestissement des énergies fossiles que les Etats doivent accompagner, et ce n’est pas le prix du carbone qui va résoudre cela. »
Dans les faits, les deux démarches – planification et taxation – coexistent au niveau national comme au niveau européen. L’Union européenne a un corpus législatif climatique très étoffé (trop même pour certains) avec le Green Deal, mais elle dispose aussi d’un marché carbone qui couvrait en 2023 la moitié des émissions de CO2 du territoire européen.
« Où va l’argent ? »
En France aussi, une taxe carbone existe, appliquée à l’énergie uniquement. L’inefficacité de cette taxe sur le comportement des consommateurs tient à la faiblesse de son prix (gelé à un peu plus de 44 euros la tonne depuis 2018). Or, pour être compatible avec nos objectifs climat, le prix du carbone devrait être de 100 euros la tonne de CO2. A ce niveau de prix, et considérant que chaque Français rejette en moyenne 8,9 tonnes de CO2 par an, les recettes de la taxe carbone pourraient atteindre 60 milliards d’euros. Par un curieux hasard, c’est exactement la somme que l’Etat cherche à récupérer pour résorber notre déficit public.
La comparaison s’arrête là car lever un tel impôt n’est imaginable qu’à condition d’en redistribuer intégralement le produit, selon ses défenseurs. « Où va l’argent ? C’est la question qui revient sans cesse dans la bouche des contribuables, souligne Guillaume Bazot, économiste, enseignant à l’université Paris-VIII et coauteur de l’étude. Les revenus associés à la tarification carbone ont toujours été utilisés pour autre chose, sans transparence. Il ne faut pas que l’Etat en tire une source de revenus, il faut en reverser la totalité aux ménages. »
Cette redistribution est clé, mais ses modalités font largement débat. Faut-il en redistribuer l’intégralité de manière uniforme ou différencié ? Ou encore en garder une partie pour financer des programmes de recherche ou de formation en faveur de la transition écologique, investir dans les infrastructures, soutenir les ménages les plus modestes ? Surtout pas, pour Guillaume Bazot : « Le but d’une taxe carbone, ce n’est pas de faire du social même s’il est important de rendre cette politique acceptable. Chaque problème doit avoir son outil fiscal, il ne faut pas tout mélanger. »
Une visibilité indispensable
Tout mélanger, c’est justement une de nos spécialités. Un exemple ? « Cela fait plusieurs années que l’on cherche à électrifier les usages, or l’une des principales mesures de fiscalité énergétique du budget 2025, c’est une hausse de la taxe sur l’électricité », regrette Pierre Jérémie, auteur d’un rapport sur le prix du carbone en Europe pour la Fondation Terra Nova.
Côté planification, la France est là encore au milieu du gué. « Rendre publics des objectifs de la part de l’Etat, cela a une grande valeur pour donner de la visibilité aux acteurs de marché. Mais cela ne dit rien quant à la capacité des entreprises de remplir cette feuille de route », relève Pierre Jérémie. Alors, taxer ou planifier ? « Les deux mon général », serait la réponse la plus adéquate. A condition de ne pas faire l’un et l’autre à moitié.
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