Thouars, 15.000 habitants, son château, son église romane, ses jolies petites rues en pente, pavées et bordées de maisons à colombages. A première vue, rien ne distingue cette petite bourgade tranquille, située dans le nord des Deux-Sèvres. Seules quelques éoliennes visibles dès la sortie du centre-ville, l’obscurité des rues dès la nuit tombée, ou encore les déviations liées aux nombreux travaux de voirie, laissent deviner que la commune – et ses voisines – figure parmi les territoires désignés champions de la transition écologique en France.
Le classement établi il y a un peu plus d’un an par l’Ademe (l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) a placé le Thouarsais (26 communes, 35.000 habitants) au 19e rang des 217 collectivités étudiées. Surtout, c’est l’une des rares collectivités rurales à avoir été distinguée. « C’est la première communauté de communes à avoir historiquement obtenu 4 étoiles, dès 2021 », indique Jean-Philippe Estrade, chargé de mission à l’Ademe pour les Deux-Sèvres. « Pour l’instant, les collectivités qui ont obtenu 5 étoiles sont toutes des grandes villes, comme Grenoble ou Bordeaux. »

Projet porteur
Production d’énergie verte et consommation d’énergie, rénovation thermique des bâtiments, mobilité, gestion de l’eau ou des déchets, tous les grands leviers de la transition écologique ont été passés au crible. Et il faut reconnaître que sur certains critères, le Thouarsais sort effectivement du lot. Ses ordures ménagères ont plongé de 203 à 117 kg par habitant et par an entre 2018 et 2023. Ses émissions de gaz à effet de serre ont reculé de 19 % entre 2015 et 2021 (les équipes sont en train de calculer son nouveau bilan carbone). La production d’électricité renouvelable locale représente déjà 72 % de sa consommation.
Le chemin n’est pas terminé, loin de là. L’expérience de ce petit territoire n’est est pas moins riche d’enseignements. « La clé, c’est de commencer par un projet porteur, qui emporte une large adhésion locale », témoigne Delphine Maisonneuve, directrice des services développement durable et ingénierie financière de la communauté de communes.
A Thouars, c’est la fermeture d’un vaste site militaire, où étaient entreposées des munitions, qui a fait office de tremplin. C’était en 2004, il y a tout juste 20 ans. « A l’époque, tout le monde pleurait : le site employait du monde, il faisait partie de l’histoire de la ville. C’est alors que je me suis dit, et si c’était une opportunité ? », raconte Bernard Paineau, le président de la communauté de communes, qui était à l’époque maire de l’une des communes voisines.
Les élus locaux imaginent alors de convertir les 12 hectares concernés en un vaste complexe de production d’électricité renouvelable : un méthaniseur, des parcs solaires photovoltaïques, des parcs éoliens, et même une unité de production d’électricité par gazéification – qui sera abandonnée quelques années plus tard. Soit une cinquantaine de millions d’euros d’investissements, à financer par des partenariats publics privés.

« L’objectif était de produire l’équivalent de la consommation de 30.000 à 40.000 personnes. Comme nous avions un projet, l’Etat a accepté de débourser les 12 millions d’euros nécessaires à la dépollution du terrain, que nous avons ensuite racheté », explique Bernard Paineau.

Vaste plan vélo
De cette première initiative naît la dynamique qui fait aujourd’hui la réputation de cette petite communauté de communes. Au départ, il s’agit de développer les énergies renouvelables. Le Thouarsais sera l’un des tout premiers territoires à s’engager en 2014 dans la démarche Tepos (territoire à énergie positive), consistant à produire plus d’énergie qu’il n’en consomme à horizon 2050.
Puis il passe aux objectifs climatiques, visant dans un premier temps à diviser ses émissions de gaz à effet de serre par quatre à l’horizon 2050, puis à atteindre la neutralité carbone à cette date. « Et nous sommes sur la bonne trajectoire », affirme Manon Planet-Achat, responsable du service énergie climat à la communauté de communes.

Nous avons payé pour apprendre.
Rémy Viaud, directeur de la production chez Séolis

Il poursuit ensuite par des offensives tous azimuts. Dans les déchets, il équipe les foyers de bacs individuels pucés et met en place une tarification incitative : le poids des déchets à enfouir chute de plus de 40 %. Dans la rénovation thermique des logements, il crée un service de conseil sur les travaux et les subventions possibles, bien avant la création de « Mon accompagnateur Renov’ » (le label national, dont il bénéficie aujourd’hui) : les 150 dossiers traités entre 2019 et 2023 ont généré 244.000 euros de subventions et 5 millions d’euros de travaux.
Dans la mobilité, il lance un vaste plan vélo à 4,8 millions d’euros, « le plus gros investissement de la ‘com-com’ », selon Pierre-Emmanuel Dessèvres, vice-président en charge de l’économie. Autre exemple parmi d’autres, il soutient Recto-Verso, une association d’accompagnement des entreprises dans leur transition écologique. « Nos adhérents ont par exemple évité 8.230 tonnes équivalent CO2 depuis janvier 2023 », indique William Fosset, l’un de ses dirigeants.

Odeurs nauséabondes
Les élus locaux le reconnaissent aujourd’hui, la transition n’a pas été un long fleuve tranquille. « Il a fallu une certaine persévérance… », sourit Bernard Paineau. Et pas seulement à cause des odeurs nauséabondes dégagées à ses débuts par le premier méthaniseur, inauguré en 2013. « A l’époque, ce projet de méthanisation, alimenté par les lisiers et fumiers locaux, était extrêmement innovant… et la technologie pas encore très au point », raconte Rémy Viaud, directeur de la production chez Séolis, filiale du syndicat d’énergie des Deux-Sèvres (lui-même détenu par les collectivités locales).

Les pannes à répétition contraindront les actionnaires à réinvestir à plusieurs reprises. « Nous avons payé pour apprendre ! Mais aujourd’hui, la rentabilité est conforme au business plan », affirme le dirigeant. Le Thouarsais porte même un deuxième projet de méthanisation qui regroupe une trentaine d’agriculteurs, afin de produire du biogaz injecté dans le réseau.
Il a aussi fallu vaincre les résistances des riverains, en particulier pour les convaincre d’accepter les 29 mats d’éoliennes emblématiques du paysage local. « Nous avons dû faire preuve d’une grande pédagogie », reconnaît Bernard Paineau, évoquant des réunions cocasses, avec des habitants craignant que les éoliennes tarissent le lait des vaches, par exemple. « Pour avancer, nous nous sommes fixés pour règle de toujours respecter l’avis des conseils municipaux », dit-il. « Mais nous avons sans doute désormais atteint la saturation… », reconnaît-il.
Autre facteur de succès : une vision déployée dans la durée. « La discontinuité politique n’a pas été un frein ici », affirme Pierre-Emmanuel Dessèvres. Question d’alchimies personnelles, sans doute, mais aussi parce que dès l’origine le territoire s’est doté d’équipes dédiées. Titulaire d’une maîtrise dans les énergies renouvelables, la directrice du développement durable Delphine Maisonneuve a été recrutée dès 2007. Une dizaine de personnes (hors déchets et assainissement) travaillent aujourd’hui sur la transition écologique. « Cette ingénierie précieuse permet de ne pas repartir de zéro lors des alternances », poursuit Pierre-Emmanuel Dessèvres.

Passoires thermiques
D’autant que l’équipe a développé un réel savoir-faire sur la recherche de financements. « Ils n’ont pas moins de déchets ou plus de vent que d’autres territoires, mais ils savent mobiliser les budgets », relève Jean-Philippe Estrade, de l’Ademe. Les subventions apportées par le Département, la Région, ou l’Etat (via l’Ademe) ont par exemple représenté 1,5 million d’euros pour le plan vélo (sur 4,5 millions) ou 1,3 million pour le deuxième méthaniseur (sur 9 millions).
Certains chantiers avancent plus vite que d’autres. Comme dans toutes les zones rurales, les deux secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre (hors énergie) – les logements et la voiture individuelle – restent ici bien difficiles à décarboner. Ainsi, 41 % de la consommation énergétique du territoire est encore constituée de produits pétroliers, brûlés dans les chaudières à fioul ou les carburants.
Malgré les aides financières à la rénovation des logements, qui peuvent désormais atteindre 90 % du montant des travaux, rares sont encore les foyers à se lancer. « Il reste 23 % de passoires thermiques », reconnaît Delphine Maisonneuve, évoquant les freins habituels : les faibles revenus des ménages, la méfiance face aux propositions, etc., « même si nous avons développé un bon réseau d’artisans labellisés », dit-elle.
Et comment convaincre les habitants de se passer de leur voiture ? « Nous avons étudié de nombreux schémas, mais cela reste une vraie difficulté », explique Bernard Paineau. Le covoiturage pour les trajets domicile-travail ? « On essaie, mais les gens ont toujours soit un gamin à passer prendre à l’école, soit des courses à faire sur le trajet du retour », dit-il. Des navettes sur les itinéraires les plus fréquentés ? « Nous avons étudié un système de minibus de 9 à 12 places, qui passerait toutes les demi-heures : nous n’avions pas les moyens d’en financer le coût, estimé à 350.000 euros », poursuit-il.

Sans soutien de l’Etat et de la Région, la ‘com-com’ n’aurait pas eu les moyens de développer tous ces projets.
Bernard Paineau, président de la communauté de communes

La « com-com » a finalement choisi de miser sur le vélo : location de vélos électriques, services de réparation, itinéraires sécurisés et signalétiques adaptés (avec non seulement le kilométrage, mais aussi le temps de trajet), points d’attache dédiés, et surtout nouveau réseau de plus de 7 kilomètres de pistes cyclables – qui doit être achevé en juillet 2025. « Nous avons ciblé en priorité les zones d’emplois et les établissements scolaires », indique Pierre Rambault, vice-président en charge de l’écologie. Objectif, passer à 9 % de part modale pour le vélo (comme au niveau national), contre 4 % aujourd’hui.
Ecologiste convaincue, Anne-Cécile Boulière n’a toutefois pas encore franchi le pas. « J’y ai réfléchi à plusieurs reprises », témoigne cette membre du mouvement Colibris, qui regroupe des citoyens actifs pour l’environnement. « Soit le trajet aurait été trop long (45 minutes, au lieu de 15 minutes en voiture), soit je n’aurais pas pu emmener mes enfants à l’école », explique-t-elle. Quant à la voiture électrique, elle est encore inabordable pour de nombreux ménages du territoire, où le revenu médian disponible ne dépasse pas 21.200 euros par foyer.

Les élus locaux ne comptent pas baisser les bras, déterminés à poursuivre – avec enthousiasme – sur leur lancée. Encore faudra-t-il que les politiques publiques en faveur de la transition écologique suivent. « Sans soutien de l’Etat et de la Région, la ‘com-com’ n’aurait pas eu les moyens de développer tous ces projets », insiste Bernard Paineau.

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