Le gouvernement ougandais n’en finit plus de réprimer les activistes climatiques du pays. Après l’arrestation début août de 47 personnes qui marchaient vers le Parlement pour remettre une pétition contre le très décrié méga projet pétrolier EACOP porté par TotalEnergies, la police de Kampala a, de nouveau, arrêté 21 militants, le 26 août. Ils tentaient de rejoindre le Parlement et l’ambassade de Chine – la compagnie chinoise CNOOC est impliquée dans EACOP – pour remettre une nouvelle pétition. Début juin, déjà, l’activiste climatique Stefen Kwikiriza, opposé au projet, avait été enlevé par des militaires en civil, détenu une semaine en un lieu tenu secret, interrogé et passé à tabac avant d’être relâché au bord d’une route de campagne. Face à ces répressions, l’activiste climatique et membre de Fridays for Future Ouganda, Mbabazi Faridah, a répondu aux questions du Point Afrique. Elle alerte sur la répression et les périls environnementaux et climatiques qui menacent son pays alors que s’ouvre la COP29 en Azerbaïdjan.
Le Point Afrique : Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir activiste climatique ?
Mbabazi Faridah : Mon engagement trouve son origine dans les graves conséquences des changements climatiques dans mon district d’origine, Gomba [en province centrale, NDLR]. En 2009, j’étais âgée de 10 ans. Nous avons été confrontés à des sécheresses prolongées et à de graves inondations qui ont dévasté notre communauté. La chaleur était si intense que l’herbe des pâturages où paissaient nos vaches a pris feu. Nous avons parcouru de longues distances à pied pour trouver de l’eau pour les animaux qui avaient survécu et pour boire. La faim était si forte que certains membres de ma famille n’ont pas survécu. Nous dépendions de l’aide du gouvernement qui envoyait des camions de nourriture, chaque personne ne recevant qu’un kilo de farine de posho et une tasse de haricots, ce qui n’était pas du tout suffisant. Je nous vois encore faire la queue. En cherchant à comprendre ces défis climatiques, j’ai rejoint Fridays for Future Ouganda, dans le cadre de son programme annuel de mentorat pour les jeunes. Il vise à sensibiliser les jeunes Ougandais à devenir des activistes, tout en plaidant en faveur de la justice environnementale et du développement durable. Ainsi, j’ai pu sensibiliser ma communauté à ces questions et à l’importance d’agir.
Pouvez-vous rappeler les principaux enjeux climatiques et environnementaux posés par la construction du projet pétrolier EACOP ?
Le premier enjeu concerne le déversement d’hydrocarbures. L’oléoduc doit s’étendre d’Hoima, dans l’ouest de l’Ouganda, à Tanga en Tanzanie, traversant des zones sensibles – lacs, rivières et autres sources d’eau – le long de son tracé. Il y a des risques de déversements et de fuites de pétrole, qui pourraient entraîner une contamination du sol et des sources d’eau dans ces régions et, par conséquent, dévaster l’agriculture, nuire à la vie aquatique et affecter l’approvisionnement en eau potable des communautés situées le long du tracé de l’oléoduc. Une exposition prolongée aux polluants provenant de ces déversements ou de fuites potentielles pourrait entraîner de graves problèmes de santé, notamment des problèmes respiratoires et cutanés, pour les populations locales des régions touchées. Ensuite, faciliter l’extraction et le transport des combustibles fossiles va contribuer aux émissions mondiales de gaz à effet de serre et accélérer le changement climatique. Aussi, la construction du pipeline entraînera probablement le déplacement de communautés [118 000 personnes auraient déjà été expropriées dans des conditions décrites comme « catastrophiques » par de nombreuses associations, NDLR] dans des régions où la population est déjà confrontée à des conditions complexes.
Nous avons été confrontés à des sécheresses prolongées et à de graves inondations qui ont dévasté notre communauté
L’impact de l’oléoduc sur l’environnement risque d’exacerber les problèmes d’inondation, ce qui entraînera de nouvelles perturbations dans l’agriculture et les économies locales. Les opérations de forage dans le parc national de Murchison Falls [plus de 400 puits sont prévus, dont un tiers dans le parc national, NDLR] vont entraîner une destruction importante de l’habitat, mettant en danger des espèces sauvages telles que les éléphants, les lions et les girafes, et perturbant l’équilibre écologique de cette zone critique. Pour finir, le processus de forage présente des risques pour les sources d’eau locales, notamment le Nil Albert (ou Nil Blanc) et le bassin du lac Albert. La contamination par les produits chimiques et les déchets aura des répercussions sur la faune et les communautés humaines qui dépendent de ces sources d’eau pour la boisson et l’agriculture.
Le gouvernement mène une répression intense des activistes climatiques, notamment de ceux mobilisés contre le projet EACOP. Comment continuer la lutte ?
Beaucoup de gens ont été trompés sur ce projet EACOP. Il est triste que ses dangers n’aient pas été portés à la connaissance de la population. Les gens n’ont aucune idée de ce projet EACOP, on leur a menti en leur disant qu’il s’agissait d’un petit oléoduc qui leur serait bénéfique, et certains ont été trompés par de fausses promesses d’emploi. Heureusement, de très nombreuses personnes sont moins compatissantes et sont sorties pour parler de ce sujet. Mais elles ont fini par être arrêtées. Nous, les activistes, voulons être la voix de ces personnes sans voix qui n’ont aucune idée de l’EACOP. Nous arrêter ne nous empêchera pas de dire la vérité. Malgré les efforts déployés pour nous réduire au silence, nous restons déterminés à nous exprimer. La suppression de la vérité est inacceptable lorsque les écosystèmes sont en danger et que la vie des gens est menacée. L’arrestation récente de militants, dont des membres de Students Against EACOP et de Project Affected Persons (PAPs), alors qu’ils voulaient seulement remettre une pétition contre EACOP, souligne l’urgence d’agir et de faire preuve de transparence. Ils sont actuellement détenus à la prison de Luzira dans l’attente d’une libération sous caution.
Le rapport « Survivre à EACOP », de l’Observatoire des multinationales, démontre que les femmes sont les premières à souffrir de ce projet. Comment l’expliquez-vous ?
En Ouganda, les femmes sont souvent les premières à subvenir aux besoins de leur famille. La construction de EACOP déplace de nombreuses femmes de leur maison et de leur ferme, augmentant ainsi leur fardeau. Les déplacements obligent les femmes à vivre dans des conditions dangereuses et réduisent leur accès aux moyens de subsistance et aux ressources traditionnelles, ce qui les enfonce encore plus dans la pauvreté. En outre, le processus d’indemnisation de l’EACOP favorise souvent les hommes. Il en résulte des risques accrus de violence et d’exploitation, ainsi que des séparations familiales dues à une mauvaise gestion des fonds.
Nous, les activistes, voulons être la voix de ces personnes sans voix qui n’ont aucune idée de l’EACOP
Paradoxalement, ce sont les femmes qui se font le plus entendre sur les enjeux climatiques et environnementaux dans le pays. L’exclusion des femmes des processus de prises de décision contribue à expliquer pourquoi les femmes des jeunes générations prennent la tête de l’activisme climatique. Des leaders comme Vanessa Nakate et Nakabuye Hilda en Ouganda ont inspiré de nombreuses jeunes femmes à se lever et à plaider pour le changement. Leur voix et leurs actions nous ont donné les moyens de rejoindre le mouvement et d’avoir notre propre impact. Par exemple, le projet « Jeunes femmes pour l’agriculture et l’égalité des sexes » de Fridays for Future est une excellente initiative qui, non seulement, enseigne aux femmes des pratiques durables, mais leur offre aussi des plateformes pour s’impliquer et se faire entendre. En créant ces opportunités, on contribue à amplifier nos voix et à garantir que les femmes et les filles jouent un rôle central dans la lutte contre la crise climatique.
Peut-on considérer que la mauvaise gestion des décharges publiques est une nouvelle bombe environnementale de plus, qui menace votre pays ?
Après de fortes pluies, la principale décharge publique de Kampala, Kiteezi [dans la banlieue nord de la capitale, NDLR], qui accueille 1 500 tonnes de déchets par jour, s’est effondrée sur des habitations, tuant au moins 35 personnes selon un bilan largement sous-évalué. La gestion des déchets en Ouganda est une préoccupation essentielle. Le gouvernement a proposé l’incinération des déchets pour la décharge de Kiteezi, mais cette approche présente de sérieux inconvénients. Elle peut accroître la pollution de l’air en libérant des toxines nocives, ce qui exacerbe la crise climatique au lieu de l’atténuer. En outre, cette méthode présente des risques pour la santé en raison des émissions de polluants et des dangers qu’elle comporte. Cette situation est particulièrement décourageante compte tenu de l’impact tragique de la catastrophe de la décharge de Kiteezi, où plus de 35 personnes ont perdu la vie, certaines n’ayant toujours pas été retrouvées. La zone est en proie à des odeurs nauséabondes et les survivants, qui vivent désormais sous des tentes, sont confrontés à des problèmes de santé, en raison de l’insalubrité des lieux. Mais ce problème ne se limite pas à Kiteezi.
La gestion des déchets en Ouganda est une préoccupation essentielle
Kampala, comme le reste du pays, est submergée de déchets, qui sont souvent déversés de manière inappropriée dans divers endroits, ce qui contribue aux problèmes d’environnement et de santé publique. Et la situation s’aggrave de jour en jour. La pollution atmosphérique et plastique contribue au changement climatique et nuit à l’écosystème. La présence de produits chimiques dangereux et de métaux lourds dans les déchets contamine et dégrade la qualité des sols et constitue une menace importante pour la santé des plantes et des êtres humains. Ensuite, la décomposition des déchets organiques produit des gaz à effet de serre, tels que le méthane, qui contribuent au changement climatique. Nous, activistes, plaidons pour une stratégie de gestion qui donne la priorité au recyclage, à la réutilisation et à la réduction des déchets. Ces pratiques offrent une approche plus durable et peuvent contribuer à résoudre les problèmes environnementaux plus vastes auxquels nous sommes confrontés.
Comment jugez-vous l’action du gouvernement en matière d’environnement ?
L’approche du gouvernement en matière de climat et d’environnement laisse sérieusement à désirer. La crise actuelle de la décharge de Kiteezi met en évidence cet échec : des corps restent enfouis sous des tas d’ordures, et les déchets eux-mêmes ont été laissés sur place depuis l’incident. Bien que les politiques aient été témoins de cet incident, des tas de déchets sont encore déversés dans la ville, mais rien n’est fait. Ce mépris flagrant révèle un profond niveau de négligence et d’inefficacité dans la résolution des problèmes environnementaux et climatiques. Mais c’était déjà le cas en 2019, lorsque le niveau des eaux du lac Victoria a commencé à augmenter et inonder le marché de Ggaba [situé dans un quartier de Kampala qui borde le lac, NDLR]. Une partie des 2 000 vendeurs du marché sont partis et travaillent désormais sur le bord de la route, tandis que d’autres se sont tournés vers d’autres activités et ont quitté le marché en raison des inondations persistantes qui ont submergé les stands. Les politiciens, le gouvernement et la Kampala Capital City Authority (KCCA) sont tous restés silencieux. Alors même que des déchets sont déversés dans les canaux d’eau, y compris des déchets humains, que le nombre d’espèces de poissons a diminué et que l’augmentation du niveau de l’eau a conduit à la destruction des habitations. Une planification et une gestion inadéquates, de mauvais contrôles environnementaux et un manque d’entretien ont contribué à la crise humaine et environnementale actuelle. L’absence de consultation des communautés concernées et de mise en œuvre de réglementations environnementales strictes met en évidence un problème systémique profond. Nous avons besoin de réformes urgentes et globales pour remédier à ces défaillances et prévenir d’autres dommages.
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