Au centre du Nigeria, la même histoire se répète, inlassablement. Comme chaque année, le fleuve Niger déborde. L’eau envahit la maison d’Idris Egbunu et stagne pendant plusieurs semaines. Ce retraité de 67 ans est contraint de trouver refuge chez des voisins. « Avant de regagner son foyer, il lui faudra nettoyer, fumiger pour éviter la propagation des maladies, réparer, repeindre, se réinstaller… jusqu’à la prochaine saison des pluies et la prochaine crue, presque inévitable dans la région de Lokoja, dans l’État central de Kogi », rapportent nos confrères de l’AFP. Près de 2 millions d’habitants sont affectés par les inondations dans cette région.

La ville de Lokoja, implantée à la confluence du fleuve Niger et du Bénoué, son principal affluent, se retrouve régulièrement sous les eaux. Fatima Bilyaminu, mère de famille et commerçante de 31 ans, se désole : « J’ai tout perdu. Mon lit, mon fauteuil, ma garde-robe, mon matériel de cuisine, mon générateur et tout le reste. » Soumises à des inondations récurrentes, les habitations montrent de graves signes de fragilisation. Certaines se fissurent, d’autres s’écroulent en partie. Entre le fleuve et la ville, les berges ont disparu. En 2022, c’était bien pire, de terribles inondations avaient causé la mort de 600 personnes.

Des phénomènes climatiques extrêmes
Au Nigeria comme ailleurs en Afrique, le changement climatique amplifie les variations de moussons. Cette année, des pluies torrentielles et de graves inondations ont touché près de 6,9 millions de personnes en Afrique de l’Ouest et centrale, selon les données du Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (Ocha). « Depuis fin juin, la saison a été très humide. On reste dans une variabilité météorologique normale, mais à cela s’ajoutent des périodes de précipitations intenses sur des sols déjà saturés en termes d’humidité. Cela conduit à des phénomènes de crues et d’inondations », explique Yves Tramblay directeur de la recherche en hydrologie à l’Institut de recherche sur le développement (IRD). « Au phénomène météorologique se superpose un effet changement climatique avec des pluies plus intenses. Les scénarios du Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat] anticipent des variations encore plus intenses », poursuit-il.
Tout le continent est affecté. Entre 2022 et 2024, de sévères inondations ont été observées à l’Est, au Kenya, en Tanzanie, en Somalie, en Éthiopie, mais aussi en Afrique centrale, au Tchad, au Rwanda, au Burundi, en République du Congo, en République démocratique du Congo ou encore au Cameroun. L’Afrique australe, notamment l’Afrique du Sud et le Mozambique, n’a pas été épargnée. Cette année, le Sahel a été particulièrement touché par des pluies diluviennes. Le bilan est particulièrement lourd au Tchad où au moins 576 personnes ont perdu la vie et 1,9 million de personnes sont sinistrées, soit 10 % de la population du pays, selon un bilan publié par l’Ocha.
Au Sénégal et en Mauritanie, les populations riveraines du fleuve Sénégal font face à une crue d’une ampleur inédite. De nombreux villages sont inondés. Les habitants de Bélli Diallo, à trois kilomètres de Matam, ont été obligés de fuir. « Nous sommes sortis de nos maisons en pleine nuit. L’eau a envahi nos maisons de tous les côtés », explique Ismaïla Sy, un habitant de Bélli Diallo à l’Agence de presse sénégalaise (APS). Le fleuve Gambie est lui aussi en crue. Autour du village de Goloumbou, dans l’est du Sénégal, « les champs, les maisons, l’école, les routes, ici tout est sous les eaux. Nous n’en pouvons plus », commente le secrétaire général de la Coopérative des producteurs de la région de Tambacounda dans le journal sénégalais L’Observateur. Les agriculteurs locaux estiment que les pertes atteignent plus de 9 milliards de FCFA (13,7 millions d’euros), la crue ayant submergé les plantations de bananes, de piments, de gombos et d’arachides.

Un coût exorbitant
Le dérèglement climatique est devenu une réalité palpable en Afrique. Les catastrophes naturelles se multiplient, mettant en péril la survie de millions d’habitants dont les habitations sont détériorées ou détruites et les cultures agricoles ravagées, compromettant la sécurité alimentaire. « Le changement climatique pèse de plus en plus lourd sur l’Afrique », s’alarme l’Organisation météorologique mondiale (OMM) dans son dernier rapport publié en septembre consacré à l’état du climat en Afrique. « Les pays africains perdent en moyenne de 2 à 5 % de leur produit intérieur brut (PIB) à gérer les extrêmes climatiques. Il est estimé que, au cours de la prochaine décennie, l’Afrique subsaharienne consacrera entre 30 et 50 milliards de dollars par an à l’adaptation, soit 2 à 3 % de son PIB », poursuit l’OMM. Afin de sauver des vies et des moyens d’existence, l’OMM préconise d’investir dans les services météorologiques et hydrologiques tout en accélérant la mise en œuvre de l’initiative « Alertes précoces pour tous ». Le rapport rappelle la succession de phénomènes climatiques extrêmes et dévastateurs – inondations et sécheresses – qui ont sévi en 2023 et qui se poursuivent cette année.

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », avait lancé le président français Jacques Chirac, en 2002 lors du sommet de la terre en Afrique du Sud. Vingt ans plus tard, le constat est le même. Nos activités économiques, nos déplacements, notre mode de vie, très dépendant des énergies fossiles, favorisent l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES) responsables du changement climatique. Les GES enveloppent la terre, emprisonnant la chaleur du soleil. L’atmosphère se réchauffe, le niveau des mers s’élève, la vapeur d’eau s’accumule et les schémas de circulation de l’air se modifient, les pluies sont plus violentes. « Nous disposons de modèles prédictifs sur les précipitations bien moins fiables que sur les températures, car c’est une physique plus complexe, dans laquelle les effets d’échelle jouent un rôle fondamental », fait observer Thierry Lebel, hydroclimatologue, directeur de recherche à l’Institut des géosciences de l’environnement de Grenoble, dans un article du magazine de l’IRD.

Où en sont les financements climatiques ?
L’Afrique représente seulement 4 % des émissions mondiales, mais reste le continent le plus exposé. Si la planète connaît une hausse de 1,1 degré en moyenne par rapport à l’ère préindustrielle, le continent africain voit sa température moyenne augmenter de 1,4 degré. Daouga Ngom, ministre de l’Environnement et de la Transition écologique du Sénégal, désigné pour porter la voix des pays les moins avancés (PMA) lors de la COP29 qui se tiendra à Bakou du 11 au 22 novembre, a précisé que la priorité des pays africains était l’accès à la finance climatique. « Il y a beaucoup de fonds dédiés à l’environnement, mais on s’est rendu compte que, avec les procédures d’accès longues et difficiles à ces fonds, les pays africains n’engrangent pas beaucoup de ressources. Les pays émergents bénéficient plus de ces ressources que les pays africains », a-t-il souligné, selon l’APS. L’Afrique, continent le plus impacté, n’a pas plus de 5 % des financements du Fond vert climat. « Nous avons donc besoin de ces fonds pour l’adaptation et l’atténuation aux effets du changement climatique », a-t-il insisté.

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