C’est une petite révolution dans l’élaboration des comptes nationaux réalisée par l’Insee. Pour preuve, le directeur général Jean-Luc Tavernier est venu en personne, ce mardi, présenter les résultats de ce que l’Insee appelle « les premiers comptes nationaux augmentés ». Une façon de « repousser les frontières de la comptabilité nationale », a-t-il indiqué. En clair, il ne s’agit pas de renoncer aux indicateurs traditionnels comme le produit intérieur brut (PIB), mais de leur adjoindre d’autres variables liés notamment à la soutenabilité environnementale.
A cet effet, l’Insee publie une mesure rénovée de l’empreinte carbone de la France. Il s’agit d’intégrer aux émissions dites « résidentes » (donc provenant de la production nationale et de l’activité des ménages sur le territoire) les émissions importées résultant des biens fabriqués à l’étranger et consommés en France. La différence n’a rien d’anodine puisqu’elle augmente nos émissions de 240 millions de tonnes de carbone. L’empreinte carbone globale de la France s’élevait ainsi à 644 millions de tonnes équivalent CO2 en 2023 soit 9,4 millions de tonnes en moyenne pour chaque Français.

Pour 50 euros dépensés, on émet en moyenne 10 kg de CO2.
Nicolas Carnot Directeur des études et synthèses économiques à l’Insee

Les importations se décarbonent
Si les émissions importées sont supérieures aux émissions résidentes – elles représentent 56 % de nos émissions globales – on peut toutefois se satisfaire de voir leur courbe baisser depuis une quinzaine d’années pour suivre une évolution similaire aux émissions résidentes. Signe, non pas que la consommation des Français en biens et services importés a baissé, mais que la composition carbone de ces biens et services s’est améliorée, donc que la production de nos partenaires commerciaux à l’international se décarbone, à l’image de celle de la France.
La majorité de nos émissions importées provient de l’Union européenne suivie par la Chine. « Bien que 5 fois plus intenses en gaz à effet de serre par euro que la production domestique, les importations se décarbonent au même rythme que le PIB », notent les experts de l’Insee.
L’Insee s’est par ailleurs appliquée à valoriser les coûts implicites des émissions de gaz à effet de serre, à savoir le coût des dommages induits par le réchauffement climatique (inondations, sécheresses…) et les coûts de décarbonation. « Du fait des émissions induites par les activités économiques, la création nette de valeur (le produit intérieur net) est plus faible qu’ordinairement mesuré », indique la note de l’Insee. Ce produit intérieur net ajusté (Pina) est inférieur de 4,3 % en 2023 au produit intérieur net usuel. C’est-à-dire une perte de près de 100 milliards d’euros (94 milliards précisément) par rapport à ce que la France aurait pu créer l’an dernier comme richesse si elle n’avait pas eu à faire face aux coûts du dérèglement climatique et de la décarbonation.

Un prix du carbone difficile à évaluer
Cette comptabilité nationale carbone, si on peut la baptiser ainsi, comporte tout de même une bonne nouvelle : grâce aux efforts déployés pour limiter nos émissions  elles ont baissé de 5,6 % par rapport à 2022 – la France a économisé 21 milliards d’euros en 2023. Une somme qui correspond aux dommages évités l’an dernier grâce à la baisse des émissions. Un gain qui ne sera pas de trop pour financer le coût de la décarbonation évalué à 929 milliards d’euros d’ici à 2050 par les équipes de l’Insee.
Des chiffres à prendre avec prudence car ils dépendent d’ un prix du carbone encore délicat à évaluer. L’Insee a choisi de retenir la valeur d’action pour le climat (VAC), établie par la commission Quinet, dont le dernier rapport date de 2019 et qui fixait la valeur de la tonne de carbone à 250 euros en 2030. Cette commission doit réactualiser prochainement ces prévisions. « Le PIB reste incontournable, mais il faut le compléter par d’autres variables qui sont difficiles à monétiser, reconnaît Jean-Luc Tavernier, sans compter qu’il n’y a pas que le réchauffement climatique, mais aussi la biodiversité, l’eau ou encore la qualité de l’air dont il faudrait tenir compte, qui sont encore plus compliqués à évaluer. »

Lire l’article complet sur : www.lesechos.fr