Deux ans après la faillite d’un des principaux acteurs des cryptos, la plateforme FTX et sa firme de trading Alameda de Sam Bankman-Fried, c’est le leader mondial des stablecoins, Tether Limited, qui pourrait devenir le maillon faible des marchés. Cet acteur essentiel est un pont entre le dollar et les cryptos. Il émet des cryptos stables, ou stablecoins, qui jouent le rôle de liquidités pour les traders. Sa cryptomonnaie, USDT ou tether, est adossée à la première monnaie mondiale et vaut autour de 1 dollar. C’est la confiance dans la solidité de ce lien et dans la possibilité pour tout détenteur de ces stablecoins de récupérer des dollars qui fonde la valeur du tether.
Or, le groupe serait l’objet d’une longue enquête du département de la Justice, selon le « Wall Street Journal ». Tether est depuis plusieurs années dans le collimateur de l’Ofac, l’Office of Foreign Assets Control, un organisme placé sous l’égide du département du Trésor américain. Il n’aurait pas pris toutes les mesures adéquates pour éviter que ses stablecoins soient utilisées à des fins illégales (blanchiment, drogues, armes, terrorisme).
Un individu ou une société qui ne respecte pas les sanctions américaines, par exemple en commerçant avec des pays sous embargo, comme l’Iran, ou avec des organisations terroristes ( le Hamas ou le Hezbollah) se retrouve sur la liste noire de l’Ofac. Aucun groupe ou citoyens américains ne peut plus alors être en relations commerciales et financières avec le fautif.
Pour Tether, un bannissement du marché américain sonnerait comme la fin d’une des plus grandes success-stories du monde des cryptos. En 2023, le groupe a enregistré des profits supérieurs au géant mondial de la gestion d’actifs, BlackRock – 6,2 milliards de dollars, contre 5,5 milliards pour le gérant – et avec cent fois moins d’employés, seulement 200 contre 19.000. S’il est simplement mis à l’amende, le groupe pourrait s’acquitter d’une pénalité élevée sans que sa survie soit menacée compte tenu de ses profits faramineux, comme ce fut le cas pour Binance.
Ruée aux cryptos guichets
Paolo Ardoino, le dirigeant de Tether, a qualifié les allégations du « Wall Street Journal » de « fausses sans équivoque », « réchauffées » et « irresponsables ». Il estime que sa firme serait au courant si elle faisait l’objet d’une enquête du département de la Justice. Reste à savoir si elle communiquerait sur ce point, au risque de miner la confiance de ses clients.
La publication de l’article du quotidien, vendredi 25 octobre, a tout de même fait chuter la capitalisation mondiale des cryptos de 80 milliards de dollars. L’USDT a baissé jusqu’à 0,9974 dollar, contre 0,9988 aujourd’hui. Le recul reste pour le moment limité au regard de ses plongeons historiques à 0,92 dollar en avril 2017 et en novembre 2018. Lors de la crise du Covid, en mars 2020, il avait chuté à 0,97 dollar.
Le marché ne croit pas à la disparition du leader mondial des stablecoins, qui pèse 120 milliards de dollars de capitalisation. Sur les cryptos, aucun acteur n’est pourtant à l’abri de la chute car le « too big to fail » (trop gros pour faire faillite) n’existe pas. Le « cointribuable » ne sera pas mis à contribution en cas de faillite et aucun prêteur en dernier ressort, comme une banque centrale des cryptos, ne viendrait secourir un acteur en difficulté. Un « bank run » sur tether (afflux massif et rapide des demandes de conversions des stablecoins en dollars) aurait un impact au-delà du marché des cryptos. Pour rendre leurs dollars aux investisseurs, aux fonds et aux firmes de trading (Cumberland et Jump Crypto, les filiales dédiées des traders haute fréquence, respectivement de DRW et Jump Trading), le groupe devrait vendre rapidement son portefeuille de dette d’Etat américaine.
« La planche à cryptos »
Tether a fait fonctionner « la planche à billets » comme le font les banques centrales. Le groupe a parfois émis ses stablecoins (USDT) sans contrepartie (sans dollars apportés). Elle a prêté ensuite ses USDT à quelques grands acteurs dans le besoin, comme par le passé Alameda Research – la firme de Sam Bankman-Fried était son principal client – ou Celsius Network (prêts et emprunts de cryptos), qui ont tous deux fait faillite. Ces stablecoins leur ont offert des liquidités supplémentaires pour spéculer davantage, à leurs risques et périls. Pour certains, Tether serait au coeur d’une vaste collusion pour manipuler les cours au bénéfice de ses principaux clients en leur offrant des lignes de crédit « fantômes » pour faire remonter les cours. Tether rétorque en estimant que cette théorie complotiste n’a pas été étayée et qu’elle est une des firmes les plus diffamées du secteur. Elle dit avoir mis fin à ses quelques prêts occultes, sans grands risques selon elle.
Ventes paniques
Ether détient autour de 100 milliards de dollars de ces titres, en majorité à court terme (moins de 90 jours), en garantie de ses stablecoins. Ces ventes panique pourraient provoquer un krach obligataire et une remontée des taux, alors même que la Réserve fédérale (Fed) a amorcé un cycle d’assouplissement.
Tether détient aussi 82.454 bitcoins et 48,3 tonnes d’or dans ses réserves en complément de ses obligations du Trésor. Un moyen de diversifier et d’augmenter les profits du groupe. Parfois, comme au dernier trimestre de 2023, les gains sur l’or et le bitcoin ont été bien supérieurs aux intérêts de ses placements obligataires, 1,85 milliard de dollars contre 1 milliard de dollars.
En cas de crise, Tether pourrait vendre une grande partie de ses bitcoins et de son or, tous deux en nette progression en 2024, pour retrouver des liquidités. La cession de son portefeuille de 5,6 milliards de dollars en bitcoins ne pourrait que faire plonger les cours, du fait de la faible liquidité du marché des cryptos lors des tempêtes, comme lors de la faillite de FTX.
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