Le big bang de Vivendi, destiné à se diviser en quatre entités, se rapproche. Le conseil de surveillance du conglomérat a validé lundi les résolutions qui seront soumises aux actionnaires du groupe, lors d’une assemblée générale décisive le 9 décembre. Si elles sont votées, Canal+, Havas et Louis Hachette Group (regroupant Prisma Media et la participation dans Lagardère) voleront de leurs propres ailes sur les Bourses respectives de Londres, Amsterdam et Paris, aux côtés de la holding d’investissement Vivendi SE – toujours à Paris – qui conservera Gameloft et les participations financières dans des entreprises telles qu’Universal Music Group (UMG) ou Telecom Italia (TIM).

Pourquoi scinder le conglomérat du divertissement que forme Vivendi ?

Yannick Bolloré (YB) : Pendant des années, le conseil de surveillance et le directoire ont réfléchi à la manière d’optimiser la valeur de Vivendi pour toutes ses parties prenantes : pour ses actionnaires, à travers le cours de Bourse, mais également pour le développement de ses filiales. Jusqu’à l’annonce de l’étude de faisabilité d’un projet de scission en décembre 2023, le groupe Vivendi souffrait d’une décote de conglomérat de près de 45 % en moyenne, qui nous empêchait de développer le groupe comme nous le souhaitions, malgré des résultats de croissance organique tout à fait satisfaisants ces dernières années. Le directoire y a répondu avec ce projet de scission.

Quid des synergies entre les activités ?

Arnaud de Puyfontaine (AdP) : C’est l’autre aspect qui a motivé cette décision. Sous le drapeau Vivendi, nous agissions de manière séquentielle dans le développement de nos différents métiers. A partir du moment où nos métiers ont atteint un important niveau de maturité, et face à l’accélération des mutations générées notamment par la digitalisation, nous voulons pouvoir penser un avenir où ces métiers évolueront de manière indépendante, avec toujours un dénominateur commun : un actionnaire de référence dans les quatre sociétés – le groupe Bolloré – qui permettra de passer d’un modus operandi de « fratrie » aujourd’hui, à une forme de « cousinade » entre entités demain.
YB : Arnaud de Puyfontaine et moi-même resterons présents dans les gouvernances des quatre sociétés, qui partagent une même culture de créativité, notamment afin d’assurer la continuité des coopérations existantes entre les entités – comme par exemple entre Havas et Canal+ – et qu’il est intéressant de faire perdurer, car elles créent des avantages concurrentiels. Il est vrai que pour Havas, par exemple, c’est une tristesse de quitter le groupe Vivendi. Mais cette décote de conglomérat nuisait à son développement.

La manière dont vous valoriserez les entités effacera-t-elle la décote de conglomérat dont souffre Vivendi ?

YB : Concernant la valorisation au moment de la cotation, il est trop tôt pour se prononcer. Les Capital Market Days de Canal+ et Havas, à Londres respectivement les 18 et 19 novembre, n’ont pas encore eu lieu. Différentes banques travaillent sur une fourchette de prix. Plusieurs analystes donneront leurs premières estimations fin novembre.
A ce stade, dans les comptes, la valorisation de Canal+ est de 6,8 milliards d’euros environ, celle d’Havas de 3,4 milliards d’euros, celle de Louis Hachette Group de 2,1 milliards d’euros et la situation nette de Vivendi sera de l’ordre de 4,5 milliards. La valeur de nos actifs est donc autour de 16 milliards d’euros.
Rappelons que depuis l’annonce du projet en décembre dernier, le cours a déjà beaucoup progressé, de près de 15 %. Une partie de la décote a donc été effacée. Ensuite, à la cotation, on peut estimer, raisonnablement, qu’il n’y aura plus de décote sur Canal+ ni sur Havas et une faible décote sur Louis Hachette Group, du fait de la cotation de son principal actif Lagardère. Il restera une décote sur Vivendi SE. Sera-t-elle aussi élevée que 45 % ? Nous ne l’espérons pas.

Cette fiscalité sur une partie des titres peut-elle dissuader certains actionnaires de voter en faveur du projet ?

YB : La fiscalité ne sera pas aussi importante que dans l’opération Universal Music Group dès lors que les réserves distribuables sont de 4,23 milliards d’euros et que la somme des actifs scindés représente une valeur supérieure. La scission reste soumise à un vote en assemblée générale et devra recueillir les deux tiers de votes positifs des actionnaires présents ou représentés. Le groupe Bolloré ne détenant qu’un peu moins de 30 % des droits de vote, nous nous devons de convaincre une majorité d’actionnaires du bien-fondé du projet.

Quels sont les atouts de Canal+, Havas et Louis Hachette Group pour séduire les investisseurs ?

YB : Nos investisseurs ne réalisaient pas très bien la qualité de ces actifs et de leur stratégie, du fait de leur intégration dans le groupe Vivendi. Cette opération va permettre de révéler le vrai potentiel de chacun.

AdP : Canal+ a connu un développement extraordinaire, avec son modèle d’agrégateur et en s’étendant à l’international. L’OPA sur l’opérateur sud-africain MultiChoice, qui pourrait aboutir courant 2025, permettrait à Canal+ de dépasser la barrière des 50 millions d’abonnés, un cap important, le développement du parc d’abonnés permettant d’amortir les investissements dans les contenus.

YB : Havas, l’un des six géants mondiaux de la communication, se distingue par des métiers très intégrés, de gros investissements dans la data, la tech et l’IA, qui rendent les campagnes plus efficientes, un poids très fort sur la créativité, une expertise dans la santé et une culture très forte qui nous permet de faire grandir nos talents et d’attirer les meilleurs. En évoluant séparément de Vivendi, Havas et Canal+ seront aussi en meilleure position pour faire des acquisitions en titres.

AdP : Avec Louis Hachette Group, nous voulons, entre autres, constituer un leader mondial dans le domaine de l’édition. Enfin, Vivendi SE constituera un actif de premier plan avec plus de 7 milliards d’euros de participations financières et accompagnera la croissance d’activités de taille moyenne, comme Gameloft que l’on détient à 100 % , avant d’examiner leur avenir quand elles auront acquis une masse critique plus importante.

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