l y a une certaine harmonie, peut-être même de la poésie, dans l’incohérence architecturale de Marseille. Les grands gestes urbanistiques qui ont façonné le littoral du sud de la ville, celui des beaux quartiers et des calanques, ont été menés de manière anarchique, à grands coups d’opportunités foncières. Pêle-mêle, on peut citer la création de l’avenue du Prado, du château et du parc Borély, de la Corniche, des 50 hectares de plages gagnées sur la mer grâce aux déblais du chantier du métro…
Les concessions de l’escale Borély et de l’Hippodrome arrivant bientôt à leur terme (2026 pour l’une, 2028 pour l’autre), la ville a décidé de profiter de l’occasion pour remettre un peu d’ordre. Alors début octobre, elle a lancé un appel d’offres pour travailler à l’élaboration d’un « plan guide d’aménagement et de développement durable ». Peut-être, enfin, une preuve d’intérêt pour les quartiers sud ?

Priorité aux quartiers nord
Depuis son élection en 2020, le maire, Benoît Payan (Printemps Marseillais, union des gauches hors LFI), a beau répéter sur tous les tons être venu « recoudre la ville, retisser les liens », il s’agissait avant tout de réarrimer les quartiers nord, qui comptent parmi les plus pauvres d’Europe et partaient à la dérive, au centre-ville.
Pour réancrer le nord, le jeune quadra n’a pas ménagé ses efforts, parvenant à gagner l’aide de l’Etat avec le plan « Marseille en Grand ». Des milliards d’euros de prêts garantis par l’Etat aux collectivités locales pour multiplier les transports en commun, rénover les écoles, réparer l’habitat indigne. Pendant ce temps, plus rien ne bougeait dans les quartiers sud, à l’exception de deux nouvelles infrastructures : l’extension de la ligne 3 du tram et la nouvelle marina, grâce à la tenue des Jeux Olympiques.
Territoire aisé, où l’on compte plus de diplômés de l’enseignement supérieur, plus de chefs d’entreprise, de professions libérales, de foyers imposables, de propriétaires que partout ailleurs dans la ville, ils n’étaient ni l’urgence, ni la priorité.
La rénovation des hôpitaux sud ? A l’arrêt depuis le Covid. La piscine Luminy ? Toujours fermée depuis 2009. Le boulevard urbain sud, une autoroute urbaine pour mettre fin aux immenses embouteillages des heures de pointe ? La discussion est bloquée depuis des années, la droite poussant, au nom de la fluidité du trafic automobile, la gauche bloquant, pour la même raison exactement. Le tram de la corniche ? C’est non pour la ville, qui veut des bus à haute densité, ce que refuse la métropole. La rénovation du parc Chanot ? La délégation de service public arrive à son terme fin décembre et on n’a pas encore la moindre idée de ce que va devenir le dernier gros territoire foncier de la ville.

Des quartiers aisés mais délaissés
« On ne peut pas tout faire en même temps », se défend Eric Mery, l’adjoint à l’urbanisme. Ainsi, pour le tram de la corniche, la Ville voudrait déjà que les travaux en cours de la ligne 3 du tram soient terminés avant d’en planifier d’autres. L’adjoint rappelle aussi que la rénovation de la piscine Luminy est prévue pour 2027, quand un partenaire sera choisi. La lenteur du processus s’explique selon lui par la complexité du dossier : « Nous n’avons pas les moyens financiers pour faire les travaux tout seuls, et le cahier des charges est difficile parce que le terrain jouxte le parc national des Calanques. Le parc aura donc son avis à donner, le préfet aussi… C’est difficile. »
Cette lenteur agace profondément Lionel Royer-Perreaut, ancien maire du 9/10, qui y voit une succession de prétextes. « Le concept imaginé à Luminy par la mairie est hallucinant de fantaisie : il est prévu de créer un complexe aquatique, alors qu’il est loin, très difficile d’accès. Et pour cela, il faudrait dépenser 40 millions d’euros, quand on cherche des financements dans tous les sens, dans un contexte de restrictions budgétaires. Cela n’a aucun sens ! »

En conseil municipal, dès que j’évoque les quartiers sud, on me renvoie la situation des quartiers nord au visage.
Lionel Royer-Perreaut Ex-député macroniste

Et l’ancien député macroniste, défait en juillet par un adversaire RN, de déplorer, au passage, que les écoles des quartiers sud à rénover soient dans la dernière tranche de Marseille en Grand – « les travaux ne démarreront donc pas avant très longtemps » -, ou encore le choix de construire la nouvelle cité judiciaire à Euroméditerranée, dans les quartiers nord, plutôt qu’à la Capelette, dans les quartiers sud, « un quartier en friche, avec énormément de place, qui aurait permis de mixer les populations ». Lionel Royer-Perreaut soupire : « De toute façon, en conseil municipal, dès que j’évoque les quartiers sud, on me renvoie la situation des quartiers nord au visage. »

Les « gated communities » se multiplient
Le résultat de ces interminables discussions, c’est que ces arrondissements du sud de la ville ne voient rien bouger chez eux et se replient sur eux-mêmes. La partie la plus visible de ce phénomène a démarré il y a environ quinze ans, avec la fermeture massive des résidences privées et l’apparition de « gated communities » à l’américaine. « Aujourd’hui, les deux tiers environ de ce territoire sont fermés », reconnaît Eric Mery.

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