Une bande de branquignols à la tête du monde. Voilà à quoi ressemble la fine équipe réunie par Donald Trump pour former le prochain gouvernement des Etats-Unis. Faut-il pour autant prédire la catastrophe ?
Pour mesurer l’étrangeté des choix du prochain président américain, il suffit de les transposer en France. Bien sûr, un Trump bleu-blanc-rouge n’existe pas. Il faudrait à la fois être né avec une louche en argent dans la bouche, avoir été un chef d’entreprise qui a possédé une tour à son nom à La Défense et couru de faillite en faillite, s’être raccroché aux branches en devenant présentateur de télévision et enfin incarner un populisme caricatural.

« Envie de foutre le bordel »
Mais il est possible de trouver des personnalités qui ont des traits communs avec celles choisies par l’ancien casinotier. Commençons par Elon Musk, choisi pour piloter ce qui serait en France un Commissariat à l’efficacité publique. Avant d’être l’homme le plus riche du monde, Musk est un joyeux trublion. Comme un grand patron français, Xavier Niel.
Le patron de l’opérateur de télécoms Free vient de publier un livre dont le titre pourrait résumer la vie de Musk, « Une sacrée envie de foutre le bordel ». Comme lui, il a réussi dans la tech (même s’il n’a pas poussé le sens de la provocation jusqu’à appeler ses enfants X AE A-XII ou Exa Dark Siderael). Et il n’est pas toujours convaincu par le dynamisme des institutions étatiques, comme le montre sa décision de créer 42, une école alternative d’informatique. Nommons donc Niel Haut-commissaire à l’efficacité publique !

Balkany à la Justice
Continuons le jeu. Conservateur bon teint, François-Xavier Bellamy pourrait constituer un équivalent français de Marco Rubio, même s’il n’a pas épousé une pom-pom girl. Le voilà donc ministre des Affaires étrangères. Journaliste vedette de la chaîne de télé CNews, Pascal Praud serait au moins aussi incompétent comme ministre de la Défense à Paris que Pete Hegseth, commentateur chez Fox News, à Washington.
Donald Trump a choisi comme procureur général Matt Gaetz, un député au coeur de plusieurs enquêtes pour abus sexuels. Condamné à deux reprises pour des affaires de fraude fiscale, Patrick Balkany connaît les arcanes de la justice encore mieux que Gaetz et ferait donc en France un honnête garde des Sceaux.
Ancien du service public européen de l’immigration devenu figure de proue de l’anti-immigration, Fabrice Leggeri, élu député européen sur la liste du RN en juin dernier, a un profil proche de celui de Tom Homan, promu « tsar des frontières » par Trump. Il mériterait donc le même poste.

Un poutiniste au Renseignement national
Comme Robert Kennedy Jr, Martine Wonner est un électron libre de la vie politique. Médecin psychiatre, elle a réussi la performance de se faire exclure de deux groupes parlementaires (LREM puis LIOT). Aussi antivax que Kennedy, elle ferait donc comme lui un parfait ministre de la Santé.
Le jeu peut être complété à l’infini. Le partisan de la colonisation israélienne en Cisjordanie Meyer Habib deviendrait ambassadeur à Tel-Aviv aux côtés de Mike Huckabee, Thierry Mariani qui est aussi poutiniste que Tulsi Gabbard prendrait la tête du Renseignement national… Ce serait n’importe quoi. A l’échelle de la première puissance mondiale, c’est du grand n’importe quoi.

Coûteuse négligence des nominations
Le constat est d’autant plus frappant que Donald Trump sait ce qu’il fait. Quand il était arrivé à la Maison-Blanche en 2017, il avait laissé traîner nombre de nominations. Il a vu ensuite à quel point cette négligence l’avait empêché d’actionner pleinement les leviers du pouvoir. Et commence donc cette fois-ci à annoncer très tôt ses choix pour les postes clés de l’administration.
Il est facile de prévoir la cacophonie, voire la catastrophe. Mais les séismes qui surviennent ne sont pas toujours ceux qui ont été prévus. Aussi étrange que cela puisse paraître, les outrances peuvent cacher des signaux faibles. Et la folie trumpienne débouchera peut-être sur des changements salvateurs.C’est d’abord le cas de la régénération du service public assignée à Elon Musk. Dans le passé, Musk a réussi à plusieurs reprises des missions impossibles. Les patrons de l’industrie spatiale ricanaient il y a dix ans quand il parlait de lanceurs réutilisables. Leurs collègues de l’automobile ne croyaient pas à la voiture électrique. Ils avaient tort.
Des craquements vont bien sûr se faire entendre dans le secteur public. Mais il faut vivre seul sur une île déserte pour ne pas voir que les réglementations, décidées à chaque fois pour d’excellentes raisons, finissent par aboutir à une accumulation mortifère, que ce soit dans l’agriculture, le bâtiment, l’énergie, l’automobile, ou même parfois la finance et le numérique. Un desserrement peut libérer des énergies insoupçonnées.

« Cartel à démanteler »
Et Trump ne sera pourtant pas forcément le promoteur d’un libéralisme échevelé. En matière d’environnement, il veut « libérer le pouvoir des entreprises américaines », mais aussi préserver « l’air et l’eau les plus propres de la planète ».

En matière de santé, il a fait comprendre aux laboratoires pharmaceutiques qu’il va falloir se calmer sur le prix des médicaments. Dans le numérique, Google, Apple et Facebook ne se réjouissent sans doute pas d’être qualifiés de « cartel à démanteler » par Brendan Carr, pressenti pour prendre la tête de l’Autorité de régulation des télécoms.

Un gouvernement de branquignols ne va donc pas fatalement aboutir à une politique grand-guignolesque. Le pire n’est pas toujours sûr, même dans l’Amérique de Trump.

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