Faire du troc. En schématisant, c’est ce que propose la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, face aux menaces de Donald Trump d’imposer des droits de douane sur les produits européens exportés aux Etats-Unis.

Dans une interview au « Financial Times », elle recommande à l’Union européenne (UE) de négocier avec le prochain président américain plutôt que de s’engager dans une guerre commerciale dure. « Je pense qu’il s’agit d’un meilleur scénario qu’une stratégie de représailles pure et simple […], où personne n’est vraiment gagnant », indique-t-elle. En cas de « guerre commerciale au sens large », elle prédit « un résultat négatif pour tout le monde » et une « réduction mondiale du PIB ».

Buy America
« Je ne suis pas une spécialiste du commerce […]. Mais en général, l’Europe pourrait discuter de l’achat de plus de gaz naturel liquéfié aux Etats-Unis. Il y a évidemment des équipements de défense dont certains ne sont pas en mesure d’être produits ici en Europe et qui pourraient être achetés », détaille-t-elle. En clair, elle ne propose rien de moins que d’entrer dans le jeu de Donald Trump, homme d’affaires et de « deal » avant tout .

« L’idée de dire que l’Europe s’engage à acheter plus de certains produits aux Etats-Unis me paraît curieuse. Elle le fera si elle en a besoin. Acheter plus de gaz, si c’est du gaz de schiste, est en complète contradiction avec les objectifs d’une économie européenne décarbonée », commente Pascal Lamy, l’ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). « Je trouve curieux qu’une haute autorité européenne propose de céder à un chantage de mafieux », ajoute-t-il.

« Je suis perplexe face à la soumission du Canada et de l’Union européenne, avance Elvire Fabry, spécialiste des questions de géopolitique commerciale à l’institut Jacques-Delors. Les Européens se doivent de réagir. Ils seront plus crédibles si la cohésion des Vingt-Sept est réelle. Il s’agit d’être en position de force. Si Donald Trump perçoit le moindre manque de fermeté, il ira plus loin. L’Europe risque de subir un double choc de compétitivité avec la dérégulation aux Etats-Unis et des taxes douanières. Il est vital de répondre, à moyen terme, par un sursaut en matière d’investissement, d’innovation, et réaliser enfin l’intégration du marché financier ».

L’exemple de Jean-Claude Juncker
Quoi qu’il en soit, « l’Europe a besoin d’un visage et d’une voix pour négocier avec Trump, légitimée par un mandat clair du Conseil européen et s’appuyant sur les services de la Commission, comme dans le cadre du Brexit », juge Thierry Chopin, professeur invité au Collège d’Europe à Bruges. Jean-Luc Demarty, l’ancien directeur général de la division commerce de la Commission européenne, rappelle d’ailleurs ce qu’avait obtenu le prédécesseur d’Ursula von der Leyen sous le premier mandat Trump.

« Je suis pour un transatlantisme debout et non un transatlantisme couché. L’approche de Christine Lagarde me gêne dans la mesure où elle semble prête à accepter le relèvement des droits de douane de Donald Trump. L’Europe ne peut pas rester sans réagir face à ces menaces du président américain. D’autant que nous disposons des outils nécessaires pour le faire. En 2018 sous la commission Juncker, nous avions répondu aux taxes américaines sur l’acier et l’aluminium en taxant des produits américains de manière ciblée pour des montants de droits équivalents, et nous avions évité l’instauration de droits de douane américains sur les automobiles européennes » , explique-t-il.

Quid de l’OMC ?
Pascal Lamy se montre en outre étonné de la teneur de l’interview. « Je suis surpris de ne pas trouver, dans cette interview, le moindre mot sur la défense des principes d’un système commercial international ouvert et basé sur des règles ». A ses yeux, « l’Europe doit menacer les Etats-Unis de mesures de rétorsion et exercer ses droits à l’OMC. Elle doit prendre, au sein de l’organisation, la tête d’une coalition contre les pratiques américaines. Il ne faut pas oublier que 90 % des pays de la planète sont en faveur d’un système commercial avec des règles ».
Certes, mais comment manoeuvrer avec une administration américaine qui se désintéresse de cette organisation multilatérale et la bloque même dans certaines de ses prérogatives, comme le règlement des différends commerciaux ?

L’effet inflationniste incertain
Le risque, à ce stade, est d’assister à une floraison de taxes douanières américaines dans le seul but de réduire les déficits commerciaux que les Etats-Unis enregistrent avec la Chine et les pays de l’UE. Avec pour conséquence de possibles effets sur l’inflation et donc, des implications sur la politique monétaire de la BCE.
D’autres soutiennent la position de Christine Lagarde. « Il est dans l’intérêt des Européens de ne pas prendre de mesure de rétorsion telles que des hausses de droits de douane », estime ainsi Nicolas Goetzmann, chef économiste de la Financière de la Cité. « Acheter du GNL et des armes aux Etats-Unis, cela va aider politiquement. Mais il s’agit d’un ajustement à la marge. Cela ne va pas permettre de corriger le déséquilibre structurel des balances commerciales entre les deux zones qui est d’abord dû à un manque de demande intérieure dans la zone euro », poursuit-il.

Pour lui, « ce rééquilibrage des balances commerciales voulu par les Américains passe nécessairement par une hausse de la demande intérieure européenne et pourrait passer par une baisse des taux d’intérêt pour relancer la machine économique. Réagir à Trump de cette manière est dans notre intérêt. Cela permettrait de commencer à répondre à la crise du pouvoir d’achat et de redonner de l’oxygène à nos entreprises ».

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