Jeudi 28 et vendredi 29 novembre, Paris déroulait le tapis rouge à Bola Tinubu élu en 2023 pour une visite d’État, la première d’un président nigérian depuis celle d’Olusegun Obasanjo en 2000. Une rencontre hautement symbolique pour Emmanuel Macron, qui voit dans le Nigeria un partenaire stratégique clé pour réorienter la politique africaine de la France, dans un contexte marqué par une perte d’influence en Afrique francophone et notamment au Sahel. « Le volet politique de cette visite est aussi important que l’économique », souligne Teniola Tayo analyste politique et économique.

Depuis son arrivée à l’Élysée en 2017, Emmanuel Macron s’est engagé à redéfinir la politique africaine de la France. Délaissant le traditionnel pré carré francophone, il s’efforce de tisser des partenariats avec des pays comme le Nigeria, « première économie d’Afrique jusqu’en 2022 et désormais quatrième selon le FMI ». Avec plus de 220 millions d’habitants (410 millions attendus en 2050, selon l’ONU), le géant d’Afrique de l’ouest reste un acteur incontournable sur le continent. En accueillant successivement des chefs d’État comme le Ghanéen Nana Akufo-Addo et, dès le début de 2025, l’Angolais João Lourenço, Emmanuel Macron multiplie les gestes symboliques pour montrer que la stratégie africaine française ne se limite plus à ses anciennes colonies, dont plusieurs ont rompu leurs relations avec Paris. Le choix du Kenya pour accueillir le sommet Afrique-France en 2026 témoigne également de cette réorientation.

Un partenariat commercial qui repose sur le pétrole et le gaz
La France, n’ayant pas de passif colonial avec le Nigeria, bénéficie d’une relation bilatérale relativement décomplexée. En 2018, Macron avait déjà affiché sa volonté de se rapprocher de Lagos, en visitant le New Afrika Shrine, temple de la culture afrobeat fondé par le grand Fela Kuti. Les intérêts économiques français ne sont pas non plus étrangers à l’attitude bienveillante de Paris. En 2023, le Nigeria était devenu le premier partenaire commercial de la France en Afrique subsaharienne, les échanges bilatéraux entre les deux pays s’élevaient à 4,5 milliards d’euros. Plus de 100 entreprises françaises y opèrent, dans des secteurs aussi variés que l’énergie, la construction, les télécommunications et la santé. « La France est un marché important pour les exportations de pétrole et de gaz du Nigeria, on estime à environ 5 à 6 % des exportations totales l’année dernière mais ce n’est pas tout, de nombreux projets se développent dans des secteurs d’avenir comme le renouvelable », insiste Teniola Tayo. TotalEnergies a récemment investi six milliards de dollars dans des projets gaziers et d’énergie verte. « C’est d’autant plus significatif que le Nigeria bénéficie d’un très bon excédent commercial avec la France ».

Une puissance émergente essentielle sur le continent africain
Mais le Nigeria est un géant aux pieds d’argile. Le pays de Bola Tinubu est confronté à des crises multiples. La dévaluation du naira, la flambée des prix alimentaires et l’insécurité due à la présence de groupes armés comme Boko Haram et l’État islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap) grèvent son potentiel. Ces défis économiques et sécuritaires poussent le chef de l’État, âgé de 72 ans, à courtiser les investisseurs étrangers partout dans le monde. À son compteur plus de 18 pays visités en 18 mois. « Bola Tinubu, plus familier de la France à titre personnel et issu du secteur privé semble adopter une approche plus amicale vis-à-vis de la France, comparé à son prédécesseur Muhammadu Buhari qui est ancien officier en fonction au moment de la guerre du Biafra », juge l’analyste nigériane. « Il a pour lui, tout un secteur privé nigérian qui ne se préoccupe pas des questions coloniales, tout ce qui l’intéresse, c’est le business ».

Le Nigeria abrite un puissant secteur privé symbolisé par des figures comme Aliko Dangote, dont le conglomérat est actif dans des secteurs clés comme le ciment, les engrais et le sucre. En 2023, la mise en service de sa raffinerie, la plus grande d’Afrique, a marqué un tournant dans l’autonomie énergétique régionale. Outre Dangote, une nouvelle génération de banquiers, d’investisseurs et d’entrepreneurs de la fintech comme la success story Flutterwave, contribue à diversifier l’économie nigériane. C’est cette élite économique que Paris courtise pour renforcer les liens bilatéraux. Cette ambition s’est concrétisée ce jeudi matin avec une réunion du Conseil d’affaires franco-nigérian à l’Élysée, où des représentants d’une vingtaine d’entreprises françaises et nigérianes ont échangé en présence des deux dirigeants. La veille, United Bank for Africa (UBA), l’une des principales institutions financières nigérianes, a ouvert une succursale dans la capitale française, faisant de la France un nouvel ancrage stratégique pour connecter l’Afrique, l’Europe et d’autres régions autour des services financiers. « Avec le retour de Donald Trump, les États-Unis vont renforcer leurs politiques protectionnistes ciblant aussi bien l’Union européenne que la Chine, pointe Teniola Tayo, cette réalité pousse de nombreux pays, y compris le Nigeria, à explorer des partenariats au-delà des alliances traditionnelles. » Confrontée à la concurrence de la Chine, de l’Inde ou de la Turquie, la France voit son poids dans les échanges avec l’Afrique subsaharienne diminuer, même s’il reste important.

Convergence géopolitique
Au-delà des aspects économiques, cette visite s’inscrit également dans un contexte géopolitique complexe. Paris a exprimé son soutien aux forces de sécurité nigérianes, notamment à travers la Force multinationale mixte autour du lac Tchad. Ce partenariat sécuritaire vise à répondre aux menaces djihadistes tout en stabilisant la région. Bola Tinubu, actuellement président en exercice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), joue un rôle central dans la gestion des crises politiques régionales, notamment face aux putschistes au Niger, au Burkina Faso et au Mali. Si Abuja a envisagé une intervention militaire au Niger après le coup d’État de juillet 2023, la forte opposition populaire au Nigeria a conduit à une stratégie plus prudente. Emmanuel Macron voit en son homologue nigérian un partenaire essentiel pour stabiliser une région où la France a perdu de son influence, mais rien n’est moins sûr. Les trois pays du Sahel ont claqué la porte de la Cedeao en début d’année. Leur départ pourrait être acté lors du prochain Sommet des chefs d’État de l’organisation le 15 décembre.

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