Tout est à reconstruire ou presque en Syrie. Le Premier ministre de transition, Mohammed Al-Bachir l’a reconnu implicitement mercredi dans une interview au quotidien italien « Corriere della Sera ». Il a appelé les Syriens de l’étranger à rentrer. « Leur capital humain, leur expérience permettront au pays de prospérer […] Revenez. Nous devons reconstruire, renaître et nous avons besoin de l’aide de tous », a-t-il déclaré.
Avec la chute de Bachar Al-Assad, « la communauté internationale dispose désormais d’un important levier pour planifier la reconstruction du pays. Mais aucune entité ne sera en mesure de diriger efficacement le pays sans dépendre presque totalement de l’aide étrangère. La priorité sera de s’assurer que la reconstruction se déroule avec plus de succès que celle de l’Irak ou de l’Afghanistan », avertit dans une note publiée mardi Kirsten Fontenrose, chercheuse à l’Atlantic Council.
De leur côté, les économistes de Barclays ont souligné cette semaine un facteur positif : « L’un des actes marquants d’Al-Joulani pour faire pencher la balance dans la guerre a été sa capacité à rétablir les services locaux dans les zones contrôlées par les rebelles, de la collecte des déchets aux transports, aux communications et aux produits de base, rassurant ainsi les résidents locaux et les représentants étrangers. » C’est peut-être un signe.
Après treize années de conflit, la Syrie est exsangue. Dans un rapport publié au printemps dernier, la Banque mondiale estimait que le produit intérieur brut (PIB) du pays avait diminué de 54 % entre 2010 et 2021. Mais, reconnaît-elle, la situation réelle est certainement bien plus catastrophique. En recourant à des données satellitaires de la Nasa, l’analyse des points lumineux de la Syrie (ampoules électriques et torchage du gaz), elle avance plutôt le chiffre d’un recul de 84 % entre 2010 et 2023. Avant la guerre civile, la Syrie était considérée comme un pays à revenu intermédiaire à forte croissance. Son profil économique actuel est celui d’un pays à faible revenu, selon la classification de l’institution multilatérale.
La production pétrolière du pays n’est plus que l’ombre d’elle-même. L’observation du torchage nocturne du gaz révèle que, en 2023, la production a encore reculé de 6 %. Si en 2010, la production d’or noir s’élevait à 383.000 barils par jour, elle n’était plus que de 90.000 barils par jour l’an dernier, selon l’Administration américaine de l’information sur l’énergie.
Côté agriculture, secteur majeur de l’économie syrienne avant le début du conflit, la situation n’est guère plus brillante. Entre 2001 et 2007, par exemple, la production nationale de blé s’élevait en moyenne à environ 4 millions de tonnes. Après un creux historique en 2022 (1 million de tonnes), la production a rebondi l’an dernier pour s’établir à 2 millions de tonnes. Le conflit a endommagé les infrastructures et les systèmes d’irrigation.
Un commerce en berne
L’effondrement de la production agricole et industrielle nationale a logiquement accru la dépendance de la Syrie aux importations. Entre 2011 et 2023, les importations ont couvert près de la moitié de la consommation nationale de pétrole et environ un tiers de la consommation de céréales. Reste que le commerce extérieur du pays s’est effondré en une décennie.
Selon la Banque centrale de Syrie, les exportations de biens ont diminué de 8,8 milliards de dollars en 2010 à seulement 1 milliard de dollars en 2023, les ventes de pétrole représentant la plus forte baisse des exportations. Les importations, elles, sont passées de 17,5 milliards de dollars en 2010 à 3,2 milliards de dollars en 2023, selon les statistiques officielles.
Le captagon, drogue illégale à base de fenéthylline devenue populaire au Moyen-Orient, est peut-être le secteur le plus précieux du commerce syrien. Les ventes du pays se seraient élevées aux environs de 5,6 milliards de dollars entre 2020 et 2023. Les bénéfices des acteurs basés en Syrie ou liés à la Syrie s’élèveraient à « près du double des revenus générés par toutes les exportations syriennes licites en 2023 », souligne la Banque mondiale.
Chute de la monnaie
Face à cette détérioration de l’économie, les recettes budgétaires du pays n’ont pas cessé de reculer. Elles ont baissé de 85 % par rapport à 2010. Entre 2011 et 2023, le déficit budgétaire annuel de la Syrie a atteint en moyenne 11 % du PIB. L’effondrement du commerce, l’expansion de l’économie souterraine et l’affaiblissement des capacités administratives de collecte des impôts expliquent ces piètres résultats. Faute de rentrées d’impôt, les dépenses budgétaires ont logiquement reculé de 87 % entre 2010 et 2023.
La livre syrienne, quant à elle, n’a cessé de se déprécier . Son taux de change officiel a été divisé par 270 par rapport au dollar américain, atteignant 12.562 livres syriennes pour un dollar l’an dernier, contre 47 en 2011. Sur le marché noir, la monnaie s’échange même à un peu plus de 14.000 livres pour un dollar. L’effondrement de la monnaie nationale s’est traduit par une inflation galopante exacerbée également par les réductions des subventions de l’Etat à l’essence et aux produits pharmaceutiques. Pour l’année 2023, l’inflation culminait ainsi à 115 %.
Dans de telles conditions, la pauvreté (personnes vivant avec moins de 3,65 dollars par jour), pratiquement inexistante avant le conflit, touchait, en 2022, 69 % de la population, soit environ 14,5 millions de Syriens. Pour les analystes, l’économie syrienne pourrait mettre une décennie à surmonter les turbulences de la guerre civile. Avec une importante diaspora d’expatriés fortunés et l’aide de la communauté internationale des organisations internationales prêtes à intervenir, le pays peut espérer un rebond.
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