Depuis quelques mois, l’Europe est confrontée à des variations de prix de l’électricité de plus en plus erratiques, sources de tensions croissantes. Extrêmes, ces fluctuations touchent plusieurs pays du continent où elles ravivent des nationalismes énergétiques et mettent à rude épreuve la solidarité européenne.
La flambée des prix a d’abord touché la Grèce, la Roumanie, ou encore la Bulgarie et la Hongrie, en raison de températures estivales élevées, de pannes d’infrastructures électriques et de la réduction des réserves hydrauliques due à la sécheresse causée par le changement climatique.
L’Ukraine, devenue très dépendante de l’énergie importée d’autres pays européens – une bonne partie de ses infrastructures ayant été détruites par la Russie – est aussi pointée du doigt.
S’il est encore souvent lié aux centrales électriques au gaz et donc exposé à de fortes fluctuations du cours des énergies fossiles, le prix de l’électricité sur les marchés de gros en Europe est aussi de plus en plus dépendant des conditions météorologiques.
En cause : la production d’énergie renouvelable à partir du soleil et du vent, que l’UE pousse pour se débarrasser des énergies fossiles, rend les prix de l’électricité très volatils. Lorsque le soleil brille et que le vent souffle, la production d’électricité est élevée, ce qui peut entraîner une surproduction et des prix bas, voire négatifs. Inversement, sans soleil ni vent, la production chute, créant un déficit d’offre qui fait grimper les prix…

La météo dicte les prix
Le cas de la Norvège, qui a longtemps bénéficié de prix de l’électricité les plus bas au monde grâce à l’abondance de centrales hydroélectriques, est sans doute le plus emblématique.
Les tarifs dans la région d’Oslo ont récemment atteint leur plus haut niveau depuis décembre 2022, avant de chuter de 65 % le lendemain, en partie en raison d’une baisse de la production éolienne sur le continent combinée à une demande élevée due à des températures basses.
La poussée a engendré des tensions avec le Danemark concernant deux câbles électriques sous-marins, au point que la Norvège envisage de ne pas les renouveler en 2026 pour limiter les exportations et contrôler les prix domestiques. Même chose pour les interconnexions avec le Royaume-Uni et l’Allemagne, bien que l’UE interdise de réduire les flux de manière prolongée. « La Norvège décidera de ce qu’elle doit faire en fonction des intérêts norvégiens », a soutenu le Premier ministre du pays Jonas Gahr Store.

Tensions électriques entre la Suède et l’Allemagne
La situation est aussi très tendue entre la Suède et l’Allemagne où le 12 décembre les prix ont atteint une valeur douze fois supérieure à la moyenne des semaines précédentes, faute de vent et de soleil. Du fait des interconnexions transfrontalières, ces variations se sont en partie répercutées sur le prix payé par le consommateur suédois.
Résultat, Stockholm, qui était l’an dernier le deuxième exportateur net d’électricité en Europe derrière la France, exige que l’Allemagne instaure des zones de tarification variables sur son territoire, afin de lisser les variations, ce que Berlin refuse.
L’Allemagne produit environ 60 % de son électricité à partir des énergies renouvelables mais les installations sont situées dans le nord du pays alors que l’industrie se trouve plutôt dans le Sud. « Nous sommes en train de construire des lignes haute tension supplémentaires. Lorsque cela sera fait, le problème sera moins important », a expliqué le porte-parole du gouvernement allemand.
Pas convaincu, Stockholm menace désormais de ne pas autoriser un nouveau câble de connexion de 700 MW avec l’Allemagne, si Berlin ne réorganise pas son marché. « Il n’est pas juste que les Suédois paient des prix allemands pour des décisions allemandes », a jugé Ebba Busch, la ministre suédoise de l’Energie.
Berlin n’est néanmoins pas le seul responsable. Si les habitants de Göteborg ont récemment payé 190 fois plus pour leur électricité que ceux de Luleå, ville située plus au Nord, c’est à cause de liens de transmission électrique insuffisants au sein du pays, empêchant une répartition équilibrée de l’électricité produite majoritairement dans le nord de la Suède.
Outre-Rhin, le sujet est devenu un angle d’attaque de l’opposition conservatrice, alors que des élections anticipées auront lieu le 23 février. « Votre politique énergétique fait grincer des dents l’ensemble de l’Union européenne, qui est aujourd’hui très en colère contre l’Allemagne », a martelé Friedrich Merz, le leader des conservateurs, à l’encontre du chancelier Olaf Scholz.

Le « pacte pour une industrie propre »
Ironie du sort, ces conflits éclatent alors que l’Europe, qui cherche la parade face à ces défis complexes, n’a jamais autant prôné la nécessité d’une « union de l’énergie », qui impliquerait une intégration totale des marchés nationaux de l’énergie et permettrait des prix plus stables.Bruxelles a déjà réformé son marché de l’électricité, pour encourager les contrats à prix fixe avec les producteurs d’énergie et protéger les consommateurs des fluctuations du marché.
Mais ce n’est pas suffisant. « Le marché intérieur de l’énergie ne fonctionne pas correctement, a reconnu Dan Jorgensen, le nouveau commissaire européen à l’énergie, à l’issue d’une récente réunion des ministres de l’énergie à Bruxelles. Nous ferons beaucoup de choses dans le cadre du pacte pour une industrie propre. »
Projet phare de la nouvelle Commission, qui doit être dévoilé fin février, il doit créer les conditions propices aux entreprises pour atteindre les objectifs verts de l’UE avec, notamment, pour « pierre angulaire », un « plan visant à faire baisser les prix de l’énergie », a promis Dan Jorgensen.

L’UE prévoit aussi d’investir 584 milliards dans la modernisation de ses réseaux électriques dans les dix ans, pour s’assurer qu’ils puissent transporter une plus grande part d’énergie renouvelable. Le temps presse car des pans entiers de l’industrie européenne pourraient être fragilisés, à l’heure où la compétitivité est pourtant devenue la priorité absolue de l’UE.

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